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NOUVELLE IX

LE POIRIER ENCHANTÉ

Nicostrate était un gentilhomme d’Argos, ville très-ancienne de l’Achaïe, moins célèbre aujourd’hui par ses richesses que par les rois qu’elle eut autrefois. Ce gentilhomme, parvenu à un âge déjà fort avancé, voulut prendre une femme pour le soigner dans sa vieillesse, et il épousa Lidie, demoiselle de condition, aussi entreprenante qu’elle était aimable et jolie. Comme il était extrêmement riche, il faisait une grande dépense. Sa passion dominante était la chasse ; il avait force chiens, force oiseaux et un grand nombre de domestiques. Un jeune homme, nommé Pirrus, beau garçon, bien fait, de bonne mine et adroit à tout ce qu’il faisait, était celui de tous qu’il aimait le mieux et en qui il avait le plus de confiance. Sa femme en devint amoureuse, mais si passionnément, qu’elle n’était heureuse que lorsqu’elle le voyait ou s’entretenait avec lui. Soit que le jeune homme ne s’en aperçût point, ou qu’il ne voulût point s’en apercevoir, il se conduisit avec elle comme auparavant, c’est-à-dire avec beaucoup d’indifférence. La dame en fut affligée, et, ne pouvant plus contenir sa passion, elle résolut de la lui faire connaître. Elle se servit de sa femme de chambre, nommée Lusque, pour qui elle avait beaucoup d’amitié et de confiance. « Ma fille, lui dit-elle un jour, les bienfaits que tu as refus de moi et l’attachement que tu m’as toujours témoigné m’assurent de ton obéissance et de ta discrétion ; mais, sur toutes choses, garde-toi de jamais parler à qui que ce soit de ce que je vais te confier. Je suis jeune, bien portante, comme tu vois ; j’ai de la beauté et de la richesse, et je n’aurais rien à désirer si mon mari était de mon âge et de mon humeur. C’est te dire qu’il me satisfait peu sur l’article qui plaît le plus aux dames, et je t’avoue que je ne suis pas assez ennemie de moi-même pour ne pas chercher ailleurs ce que je ne trouve pas chez lui. On ne se marie que pour pouvoir goûter les plaisirs amoureux, et c’est précisément ceux dont je me vois privée. Afin de n’avoir rien à désirer, j’ai jeté les yeux sur Pirrus, pour qu’il remplace mon mari à cet égard. C’est un garçon honnête et fort aimable, et je l’ai jugé plus digne de cette faveur que tout autre. Je ne te cacherai pas que j’en suis follement éprise et que je pense à lui nuit et jour. On n’est pas maître de son cœur ; il possède le mien en entier, et s’il ne satisfait bientôt mes désirs, je crois que j’en mourrai de chagrin. Ainsi, ma chère,