Page:Boccace - Contes de Boccace, trad De Castres, 1869.djvu/439

Cette page n’a pas encore été corrigée

il vous sera aisé de voir qu’il est encore à demi soûl. Mais quelque injuste qu’il se soit montré à mon égard, quelque chose qu’il ait pu vous dire de moi, je vous prie de lui pardonner comme je lui pardonne, et de le traiter comme un homme qui n’a pas son bon sens. Le mépris est la punition qu’il mérite. — Par la foi de Dieu, ma fille, s’écrie alors la mère de madame Simone, les yeux étincelants de colère, des choses de cette nature peuvent-elles se pardonner ? On devrait éventrer ce malheureux, cet infâme, cet ingrat que nous avons tiré de la poussière, et qui ne méritait pas une femme telle que toi. S’il t’avait surprise couchée avec un galant, qu’aurait-il donc fait de plus que ce qu’il avait intention de te faire ? Le barbare ! tu n’es pas faite pour être victime de la mauvaise humeur et des vices d’un marchand de poires cuites. Ces sortes de gens venus du village en sabots et vêtus comme des ramoneurs n’ont pas plutôt gagné trois sous, qu’ils veulent s’allier aux plus illustres maisons. Ils font faire ensuite des armes, et on les entend parler de leurs ancêtres comme s’ils avaient oublié d’où ils sortent. Si vos frères m’en avaient voulu croire, ma fille, vous auriez été mariée à un des enfants de la famille des comtes de Gui, et vous n’auriez jamais épousé ce faquin, qui, par reconnaissance pour les bontés qu’on a eues pour lui, va crier à minuit que vous êtes une femme de mauvaise vie, tandis que je n’en connais pas de plus sage et de plus honnête dans la ville. Mais, par la foi de Dieu ! si l’on voulait m’en croire, on le traiterait de manière à le mettre dans l’impossibilité de te manquer une seconde fois. Mes enfants, continua-t-elle, je vous le disais bien, que votre sœur ne pouvait être coupable : vous avez entendu pourtant tout ce que ce petit marchand en a dit. À votre place, je l’étoufferais sur l’heure, et je croirais faire une bonne œuvre ; elle serait même déjà consommée si le ciel m’eût faite homme. Oui, tu as beau me regarder, ajouta-t-elle en s’adressant à son gendre, je le ferais comme je le dis si je n’étais pas femme. »

Les frères, non moins irrités que leur mère, mais moins violents, se contentèrent d’accabler Berlinguier d’injures et de menaces. Ils finirent par lui dire qu’ils lui pardonnaient pour cette fois ; mais que s’il lui arrivait jamais de dire du mal de sa femme, et que cela parvînt à leur connaissance, ils lui feraient passer un mauvais quart d’heure ; puis ils se retirèrent.

Henriet Berlinguier demeura tout stupéfait. Il avait l’air d’un homme hébété, et ne savait si tout ce qu’il avait fait était véritable, ou s’il l’avait rêvé. Dès ce jour, il laissa toute liberté à sa femme, sans s’inquiéter de sa conduite. Madame Simone fut assez prudente pour ne plus s’exposer à un pareil danger ; c’est-à-dire qu’elle profita de la liberté que lui laissait son mari, pour recevoir son amant et faire tout ce qu’il lui plairait, de manière à ne plus donner prise contre elle.