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du plaisir à vous forger des chimères pour me déshonorer en vous déshonorant vous-même ? ou bien auriez-vous résolu de vous faire regarder comme un homme méchant et cruel, tandis que vous ne l’êtes pas ? À quelle heure, je vous prie, avez-vous paru depuis hier au matin, je ne dis pas devant moi, mais dans la maison ? quand est-ce que vous m’avez battue ? pour moi, je ne m’en souviens point. — Comment ! méchante femme, dit alors le mari, tu ne te souviens pas que nous nous sommes couchés ensemble hier au soir ? ne suis-je pas rentré après avoir poursuivi ton galant ? ne t’ai-je pas assommée de coups au point de te faire crier miséricorde ? ne t’ai-je pas coupé les cheveux ? — Mais vous rêvez, mon pauvre mari. Vous n’avez rien fait de tout ce que vous dites là, et, sans recourir à cent preuves que je pourrais en donner, je vous prie, et prie tous ceux qui sont ici, d’examiner si je porte sur mon visage et sur mon corps la moindre marque des coups dont vous prétendez m’avoir rouée. Je ne crois pas que vous fussiez jamais assez hardi pour mettre les mains sur moi. Ce n’est pas ainsi qu’on en use avec les femmes de ma qualité ; et si vous eussiez eu l’audace de l’entreprendre, vous ne devez pas douter que je ne vous eusse dévisagé. Mais, pour achever de vous confondre, je veux bien vous prouver que vous ne m’avez point coupé les cheveux. » Là-dessus elle ôte sa coiffe et montre sa chevelure dans son entier.

La mère et les frères de madame Simone tournèrent alors tout leur ressentiment sur Henriet. « Que signifie tout ceci ? lui dirent-ils ; ce n’est pas ce que vous êtes venu nous conter. Vous voilà confondu presque en tout point ; il n’y a pas apparence que vous puissiez vous tirer guère mieux du reste. » Henriet était si déconcerté de ce qu’il voyait, que plus il voulait parler, plus il s’embrouillait : il ne savait qu’opposer aux raisons de sa femme. La belle, profitant de son embarras : « Je vois bien, dit-elle à ses frères, qu’il a voulu m’obliger à vous faire le détail de sa vie débauchée. Je suis très-persuadée qu’il a fait tout ce qu’il vous a dit ; mais voici comme je l’entends : Vous saurez que cet homme auquel vous m’avez mariée, pour mon malheur, qui se dit marchand, qui veut passer pour tel, et qui par là même devrait être plus modeste qu’un religieux et plus décent qu’une jeune fille ; vous saurez, dis-je, qu’il ne passe pas de jour sans s’enivrer ; qu’en sortant de la taverne il court chez les filles de joie, tantôt chez l’une, tantôt chez l’autre, et me fait veiller jusqu’à minuit et quelquefois jusqu’au matin, pour l’attendre, comme vous le voyez aujourd’hui. Je pense qu’étant ivre il aura été coucher chez une de ses maîtresses en titre, au pied de laquelle il aura trouvé le fil dont il vous a parlé ; qu’il aura poursuivi quelque rival ; que n’ayant pu l’immoler à sa jalousie, il sera retourné sur ses pas et aura déchargé sa fureur sur la prostituée qu’il entretient, et à laquelle il a coupé les cheveux. J’imagine que, n’ayant pas encore achevé de cuver son vin, il a cru sans doute avoir fait tout cela chez lui et à sa femme. Examinez sa figure,