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à cette pauvre créature, elle retourne dans sa chambre, refait son lit à la hâte, s’habille fort proprement, va s’asseoir au haut de l’escalier, et là se met à coudre avec autant de tranquillité que s’il ne se fût rien passé.

Cependant Henriet arrive à la maison des frères de sa femme. Il heurte avec force ; on lui ouvre, et, à sa voix, les trois frères et leur mère se lèvent et lui demandent le sujet de son arrivée à une heure si indue. Il leur conte l’aventure d’un bout à l’autre ; et, pour leur faire voir qu’il ne disait rien que de vrai, il leur montre les cheveux qu’il croyait avoir coupés à sa femme, les priant de l’aller prendre, et leur déclarant qu’il ne voulait plus vivre avec elle. Les frères, outrés de ce qu’ils venaient d’entendre, qu’ils ne croyaient que trop véritable, font allumer des torches et se mettent en chemin pour aller trouver leur sœur, dans la ferme résolution de lui faire un mauvais parti. Leur mère, qui pleurait à chaudes larmes, voulut les suivre, priant tantôt l’un, tantôt l’autre, d’examiner la chose par eux-mêmes, faisant entendre que la jalousie d’Henriet pouvait lui avoir grossi les objets. « Qui sait s’il n’a pas maltraité sa femme pour quelque autre sujet, et s’il ne voudrait pas se justifier aux dépens de son honneur ? Je connais les jaloux : tout leur paraît criminel, et les démarches les plus innocentes sont à leurs yeux autant d’infidélités. Je connais ma fille mieux que personne, puisque c’est moi qui l’ai nourrie et élevée ; elle est incapable de ce dont son mari l’accuse, et vous ne devez point, mes enfants, vous en rapporter à son seul témoignage. Défiez-vous d’un mari possédé du démon de la jalousie, et ne condamnez votre sœur qu’après avoir bien examiné toutes choses : vous verrez qu’il y a ici du plus ou du moins. »

Aussitôt que madame Simone entendit la troupe qui montait, elle se mit à crier : « Qui est-ce ? — Tu le sauras bientôt, répondit un de ses frères d’un ton menaçant. — Mon Dieu ! s’écria-t-elle, que veut donc dire ceci ? Bonsoir, mes frères, dit-elle ensuite en les voyant paraître. Serait-il arrive quelque malheur, pour venir ici à l’heure qu’il est ? » Ses frères, surpris de la trouver si tranquille et dans son état ordinaire, modèrent leur colère et l’interrogent sur les plaintes de son mari, l’exhortant à leur dire vrai, si elle ne veut s’exposer à un mauvais traitement de leur part. « Je ne sais en vérité ce que vous voulez dire, leur répondit-elle avec un grand sang-froid, et j’ai de la peine à croire que mon mari se plaigne de moi. » Berlinguier, qui croyait lui avoir défiguré le visage à force de coups de poings, la regardait dans l’attitude d’un homme ébahi et qui a perdu la raison. Il ne savait que dire ni que penser, la voyant dans un état à lui persuader qu’il ne l’avait seulement pas touchée. On voyait sur le visage de la mère un mélange de surprise, d’attention et de joie. Les trois frères, non moins étonnés, lui ayant conté ce que son mari leur avait dit, sans oublier le fil, ni les coups dont il prétendait l’avoir assommée : « Est-il possible, monsieur, dit-elle en se tournant vers son mari, que vous trouviez