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en fixant ses regards sur lui avec intérêt ; pourquoi soupirez-vous ainsi ? seriez-vous fâché de ce que je vous gagne ? — Hélas ! madame, c’est quelque chose de bien plus intéressant que le jeu qui me fait soupirer. — Je vous prie, si vous avez quelque amitié pour moi, de me dire ce que c’est. » À ces mots prononcés d’un ton vraiment touchant, Hannequin pousse un second soupir, bien plus expressif encore que le premier, et la dame de le prier plus fortement de s’expliquer.

« Ne vous fâcherez-vous pas, madame, de savoir le sujet de mes soupirs ? ce qui me retient encore, c’est la crainte que vous n’en parliez. — Soyez assuré, mon cher, que, quoi que ce puisse être, je ne vous en saurai point mauvais gré, et je n’en dirai jamais rien à personne que de votre agrément. Parlez en toute sûreté. — Je me hasarderai donc à vous ouvrir mon cœur, madame, à ces conditions. » Alors il lui déclara, les larmes aux yeux, qui il était, lui conta ce qu’il avait entendu dire de sa beauté, l’amour qu’il avait conçu pour elle avant de la voir, ce que cette passion lui avait fait entreprendre, et ne lui déguisa pas le motif qui l’avait déterminé d’entrer au service de son mari. Il finit par lui demander mille pardons de sa témérité, et par la supplier d’avoir pitié de sa tendresse, ajoutant que, si elle n’était pas dans l’intention de le payer de retour, elle ne lui refusât pas du moins la grâce de le laisser dans la place qu’il occupait. Ô douceur singulière ! ô bonté admirable des dames boulonnaises ! que de fois vous vous êtes montrées dignes d’éloges en pareil cas ! Vous n’aimez point les soupirs ni les larmes ; votre cœur, naturellement sensible, sait les prévenir et seconder les vœux de vos amants. Que ne puis-je vous louer dignement ! ma voix ne se lasserait jamais de chanter vos louanges. La charmante Béatrix, qui regardait fixement Hannequin pendant qu’il parlait, persuadée de tout ce qu’il disait, ressentit une impression si vive et si forte, qu’elle mêla ses soupirs avec les siens. « Mon cher ami, lui dit-elle ensuite, vous avez tout à espérer. Vous avez touché mon cœur à un point que je ne saurais vous exprimer. Oui, vous venez de vous rendre maître de ce cœur, que ni les présents, ni les soins les plus assidus des plus aimables gentilshommes, n’avaient pu rendre sensible jusqu’à présent. Il est à vous, mon cher ami ; vous me paraissez digne de le posséder, et je vous promets que la nuit prochaine ne se passera pas sans que je vous donne des preuves de l’amour que vous m’avez inspiré. Vous méritez d’être heureux après tout ce que vous avez fait pour moi, et vous le serez. La porte de ma chambre sera ouverte vers minuit ; venez m’y trouver à cette heure-là. Vous savez à quel côté du lit je couche : si je dors par hasard, vous n’aurez qu’à m’éveiller, et je satisferai vos désirs. Pour vous mieux persuader de la sincérité de la promesse que je vous fais, recevez ce baiser pour gage. » Là-dessus elle se jette au cou d’Hannequin ; ils s’embrassèrent amoureusement, et auraient pris sans doute de plus forts à-compte