Page:Boccace - Contes de Boccace, trad De Castres, 1869.djvu/428

Cette page n’a pas encore été corrigée

voyage furent tous d’accord avec lui, et ne tarissaient point sur les charmes et les éloges de cette dame.

Louis, qui n’avait point encore été amoureux, le devint de cette belle sur le simple récit qu’il entendait faire de ses agréments merveilleux. Elle occupa, dès ce moment, toutes ses pensées, et brûlant du désir de la voir et de se fixer auprès d’elle, il dit à son père qu’il voulait partir pour Jérusalem, et en obtint la permission sans beaucoup de peine. Il prit congé de ses amis et alla droit à Boulogne, où il prit le nom d’Hannequin. Le hasard voulut qu’il vît, le lendemain de son arrivée, la dame dont il était épris. Elle était à une fenêtre et elle lui parut encore plus belle qu’il ne se l’était figurée. Son amour en redoubla de vivacité ; et, dans un des transports de sa passion, il fit serment de ne sortir de Boulogne qu’il n’eût gagné son amitié et obtenu ses faveurs. Après avoir bien rêvé aux moyens qu’il devait prendre pour faire connaissance avec elle, il imagina que le meilleur était de se mettre au service de son mari, si la chose était possible. Il vend ses chevaux dans cette intention, concerte avec ses gens la conduite qu’ils doivent tenir pendant son séjour dans cette ville, les exhorte sur toutes choses à ne pas faire semblant de le connaître, en quelque lieu qu’ils le rencontrassent ; et, après avoir pris ainsi ses mesures, il s’adressa à son hôte et lui dit qu’il l’obligerait beaucoup s’il pouvait le faire entrer dans la maison de quelque seigneur. « J’ai précisément votre affaire, lui répondit l’hôte : il y a dans cette ville un gentilhomme nommé Egano, qui a besoin d’un domestique, et qui les aime de votre taille et de votre figure ; je lui en parlerai et vous rendrai réponse. » En effet, il lui en parla ; et d’après le portrait avantageux qu’il fit du jeune homme, il fut accepté et bien accueilli quand on l’eut vu et entendu.

Hannequin, de son côté, ravi d’être à portée de voir plusieurs fois le jour celle qu’il adorait, servit son maître avec tant de zèle et d’affection qu’il acquit bientôt toute sa confiance. Bref, il s’en fit tellement aimer qu’il lui donna le soin de ses affaires les plus importantes. Il ne faisait rien sans son avis, et le créa son intendant.

Un jour que messire Egano était allé à la chasse, et qu’Hannequin était demeuré au logis, madame Béatrix, qui ne s’était point encore aperçue de son amour, mais qui se sentait pour lui un attachement particulier à cause des bonnes qualités qu’elle lui connaissait, lui proposa de jouer avec elle aux échecs. On sent avec quel plaisir il accepta la proposition. Notre amoureux, qui voulait lui plaire, se laissait gagner, et le faisait avec tant d’adresse, qu’il n’était pas aisé de s’en apercevoir. La belle en avait beaucoup de joie. Quand quelques dames du voisinage, qui étaient venues voir madame Béatrix, et qui les regardaient jouer, se furent retirées, Hannequin, continuant toujours sa partie, laissa échapper un profond soupir. « Qu’avez-vous donc ? lui dit la dame