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persuade qu’il m’a pris pour un autre. Il m’a rencontré loin de cette maison ; et comme, après m’avoir un peu regardé, je l’ai vu mettre l’épée à la main et courir sur moi en furieux, criant : « Traître, tu es mort ! » j’ai cru devoir prendre la fuite, sans m’amuser à lui demander la raison d’un procédé si étrange. Le temps qu’il a mis pour rejoindre son cheval m’a donné celui de me réfugier ici, où cette généreuse dame m’a sauvé la vie. — Va, lui dit le mari, va, mon ami, ne crains plus rien. Je te remettrai dans ta maison en sûreté ; tu iras ensuite trouver, si tu veux, messire Lambertini, pour avoir une explication avec lui. »

Après qu’ils eurent soupé, il lui fit donner un cheval, et le mena lui-même à Florence, où il le laissa chez lui. Le jeune Lionnet parla le soir même à Lambertini, ainsi que la rusée Isabeau le lui avait recommandé, et tout alla le mieux du monde ; car, malgré les malignes interprétations qu’on fit sur cette aventure, le chevalier ne s’aperçut jamais du tour que sa femme lui avait joué.


NOUVELLE VII

LE MARI COCU, BATTU ET CONTENT

Il y eut autrefois à Paris un gentilhomme florentin, que son peu de fortune avait engagé d’entrer dans le commerce, et où il réussit si bien qu’il devint très-riche en fort peu de temps. Il n’avait qu’un fils unique, nommé Louis. Il ne crut pas devoir en faire un négociant ; mais, pour qu’il n’oubliât point la noblesse de ses aïeux, il lui fit embrasser le métier des armes, et lui obtint de l’emploi dans les troupes du roi de France. Peu de temps après, il lui procura une charge à la cour, où il se fit estimer par la sagesse de sa conduite et par les sentiments d’honneur qu’il avait puisés dans la société des gentilshommes avec lesquels il avait été élevé. Ce jeune militaire étant donc à la cour de France, se trouva un jour dans la compagnie de certains chevaliers nouvellement arrivés de Jérusalem, où ils avaient été visiter le saint sépulcre. Ces chevaliers s’entretenaient de la beauté des femmes de France, d’Angleterre et des autres pays par lesquels ils avaient passé ; l’un d’eux soutint qu’il n’avait jamais rien vu de si beau et de si bien fait que la femme d’Egano de Galussi, habitante de Boulogne, et connue sous le nom de madame Béatrix. Ses compagnons de