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m’aimez, Lambertini, dit-elle, et que vous soyez bien aise de me sauver l’honneur et la vie, faites ce que je vais vous dire : Mettez promptement votre épée nue à la main, paraissez être en colère et furieux, descendez, et dites, en vous en allant : Je saurai bien le trouver ailleurs ! Si mon mari veut vous retenir, ou qu’il demande contre qui vous en avez, ne lui répondez autre chose que le mot que je viens de vous dire. S’il insiste, quand vous serez monté à cheval, partez sans faire semblant de l’entendre, et ne lui répondez absolument rien, sous quelque prétexte que ce soit : voilà toute la grâce que je vous demande. » Lambertini promit de suivre à la lettre ce qu’elle venait de lui prescrire.

Le mari, voyant un cheval dans la cour, commençait à tirer des conjectures et allait monter dans l’appartement de sa femme pour savoir qui était arrivé, quand il rencontra, au bas de l’escalier, messire Lambertini tout en feu, soit de fatigue, soit de dépit de son arrivée. « Qu’avez-vous donc, chevalier ? » lui dit-il, tout effrayé de son air. Le chevalier répond : « Par la vie ! par la mort ! je saurai bien le trouver ailleurs. » Puis il remet son épée dans le fourreau, saute sur son cheval et pique des deux. Le mari, étonné de cette scène, monte, et rencontrant sa femme au haut de l’escalier, qui paraissait tout éperdue : « Que veut dire ceci ? lui dit-il : d’où vient que messire Lambertini s’en va tout en colère ? à qui en veut-il ? » La fine Isabeau s’approcha de la porte de la chambre, afin que Lionnet pût entendre sa réponse. « De ma vie je n’ai eu tant de peur que je viens d’en avoir, lui dit-elle. Un jeune homme que je ne connaissais pas, même de vue, vient de se réfugier ici, pour fuir le seigneur Lambertini, qui le poursuivait l’épée à la main, dans l’intention de le tuer. Comme il a trouvé la porte de ma chambre ouverte, il y est entré tout effaré, et se jetant à mes pieds : « Sauvez-moi la vie, madame, » m’a-t-il dit. J’allais lui demander son nom, ses qualités, la cause de sa frayeur, lorsque je vois arriver messire Lambertini, qui criait : « Où est ce traître ? » Je me suis incontinent emparée de la porte de ma chambre pour l’empêcher d’entrer. Il a eu assez de retenue et de respect, tout furieux qu’il était, pour ne me faire aucune violence ; et, après avoir longtemps pesté, il est descendu et s’est retiré comme vous avez vu. — Vous avez agi sagement, ma femme, répondit le mari. Il eût été bien fâcheux pour nous qu’il l’eût tué ici, et c’est même très-mal au chevalier Lambertini d’avoir poursuivi jusque dans ma maison une personne qui s’y est réfugiée. — J’ignore dans quel endroit il s’est caché, reprit la dame : je sais seulement qu’il est entré dans cette chambre. — Où êtes-vous donc ? crie alors le mari : vous pouvez vous montrer hardiment : votre ennemi est loin. »

Lionnet, qui avait tout entendu, sortit de la ruelle du lit, moins épouvanté de Lambertini, son rival, que de l’arrivée du cocu. « Qu’avez-vous donc à démêler avec messire Lambertini ? lui dit le chevalier. — Je puis vous protester, monsieur, que je n’en sais rien, et que je ne lui ai rien fait. C’est ce qui me