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Lambertini, vint troubler leurs plaisirs. Ce gentilhomme se sentit épris de la plus forte passion pour la jeune dame, qui, le trouvant désagréable et grossier, ne voulut point l’écouter. Après bien des soins et des messages, le chevalier, homme riche et puissant, las de soupirer en vain, fit savoir à la belle qu’il lui jouerait mille mauvais tours et lui ferait mille avanies, si elle persistait dans ses refus. Celle-ci, qui connaissait le personnage, et qui ne doutait point qu’il ne se portât à quelque extrémité, se rendit à ses importunités et lui accorda par crainte ce qu’elle ne lui eût jamais accordé par amour.

Madame Isabeau (c’était son nom) avait coutume de passer la belle saison à la campagne, où elle avait une maison des plus agréables. Elle y était depuis quelque temps, lorsque son mari fut obligé de s’absenter pour quelques jours. Il ne fut pas plutôt parti qu’elle envoya chercher son cher Lionnet pour qu’il vînt lui faire compagnie. Je vous laisse à penser si le jeune homme fut prompt à se rendre à son invitation et s’il sut profiter de l’absence du mari.

D’un autre côté, Lambertini n’eut pas plutôt appris que le mari était absent, qu’il monta à cheval pour aller visiter la belle Isabeau. Il heurte. La servante l’eut à peine aperçu qu’elle court en avertir sa maîtresse, qui dans ce moment était seule dans sa chambre avec Lionnet. On devine aisément le chagrin que dut lui causer cette visite importune. Elle aurait bien voulu le renvoyer, mais elle le craignait comme la foudre et n’en eut point le courage. Elle prit donc le parti d’engager son véritable amant à se cacher dans la ruelle du lit, ou quelque autre part, jusqu’à ce qu’elle eût pu se défaire du chevalier. Lionnet, craintif de son naturel, suivit très-volontiers le conseil d’Isabeau. Après quoi, la servante alla ouvrir à Lambertini, qui mit pied à terre et attacha son cheval dans la cour, à un anneau de fer qui tenait à la muraille. La belle alla le recevoir au haut de l’escalier, avec un visage calme et riant, et, après l’avoir salué le plus honnêtement du monde, elle lui demanda le sujet de son voyage. Lambertini commença par l’embrasser ; il lui répondit ensuite qu’ayant su l’absence de son mari, il était venu lui tenir compagnie. Elle le remercie de son intention et le fait entrer. Le chevalier, qui n’était pas homme à perdre le temps, ferme la porte, et force la dame à satisfaire ses désirs. Nouveau contre-temps. Le mari, qu’on n’attendait pas sitôt, arrive sur ces entrefaites. La servante, qui le voit venir de la fenêtre, court à la chambre de sa maîtresse : « Madame, voici votre mari ; il ne tardera pas d’être dans la cour ; il était déjà fort près de la maison lorsque je l’ai vu venir. »

Isabeau, se voyant deux hommes sur les bras, et sentant qu’il ne lui était pas possible de faire cacher le chevalier, à cause de son cheval que son mari avait peut-être déjà vu, faillit se trouver mal de frayeur à cette nouvelle. Elle ne savait quel parti prendre pour sortir de ce mauvais pas, lorsque son esprit, vivement aiguillonné par la crainte, lui fournit tout à coup un expédient. « Si vous