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mais il n’est pas moins vrai que le mari, toujours aveuglé par la jalousie, continua de faire le guet, pendant plusieurs nuits, dans l’espérance de surprendre le prêtre. On sent bien que la femme ne manqua pas de profiter de chacune de ces absences, pour recevoir les caresses de son amant et s’entretenir avec lui du plaisir qu’il y avait de tromper un jaloux.

Le mari, las de tant de fatigues inutiles, perdant l’espoir de convaincre sa femme d’infidélité, ne pouvant toutefois retenir les mouvements de son humeur jalouse, prit enfin le parti de lui demander ce qu’elle avait dit à son confesseur, puisqu’il envoyait si fréquemment vers elle. La dame répondit qu’elle n’était point obligée de le lui dire. Le mari insista ; et, voyant que c’était inutilement : « Perfide ! scélérate ! ajouta-t-il d’un ton furieux ; je sais, malgré toi, ce que tu lui as dit, et je veux absolument savoir quel est le prêtre téméraire qui, par ses sortilèges, est venu coucher avec toi, et dont tu es si éprise : tu me diras son nom, ou je t’étranglerai. » La femme alors nia qu’elle fût amoureuse d’un prêtre. « Comment ! malheureuse, n’as-tu pas dit à celui qui te confessa, le jour de Noël, que tu aimais un prêtre, et qu’il venait coucher presque toutes les nuits avec toi quand j’étais endormi ? Ose me démentir. — Je n’ai garde de le faire, répliqua la dame ; mais réprimez, de grâce, votre emportement, et vous allez tout savoir. Est-il possible, ajouta-t-elle en souriant, qu’un homme avisé comme vous l’êtes se laisse mener par une femme aussi simple que moi ? Ce qu’il y a de singulier, c’est que vous n’avez jamais été moins prudent que depuis que vous avez livré votre cœur au démon de la jalousie, sans trop savoir pourquoi. Aussi plus vous êtes devenu sot et stupide, moins je dois m’applaudir de vous avoir joué. Pensez-vous, en bonne foi, que je sois aussi aveugle des yeux du corps, que vous l’êtes depuis quelque temps des yeux de l’esprit ? Détrompez-vous, j’y vois très-clair, et si clair, que je reconnus fort bien le prêtre qui me confessa dernièrement. Oui, je vis que c’était vous-même en personne ; mais pour vous punir de votre curieuse jalousie, je voulus vous faire trouver ce que vous cherchiez, et j’y réussis parfaitement. Cependant, si vous eussiez été un peu intelligent, si cette affreuse jalousie qui vous tourmente ne vous eût entièrement ôté la pénétration que vous aviez autrefois, vous n’auriez pas eu si mauvaise opinion de votre femme, et vous auriez senti que ce qu’elle vous disait était vrai, sans toutefois la croire coupable d’infidélité. Je vous ai dit que j’aimais un prêtre : ne l’étiez-vous pas dans ce moment ? J’ai ajouté qu’il n’y avait point de porte qui ne s’ouvrît pour lui, quand il voulait venir coucher avec moi ; quelle porte vous ai-je fermée, lorsque vous êtes venu me trouver ? Je vous ai dit de plus que ledit prêtre couchait toutes les nuits avec moi : quand est-ce que vous avez manqué d’y coucher ? et, quand vous n’y avez point couché, et que vous m’avez envoyé votre prétendu clerc, n’ai-je pas répondu que le prêtre n’avait point paru ? Ce mystère était-il si difficile