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certaines paroles pour endormir mon mari, et ce n’est qu’après l’avoir ainsi endormi qu’il ouvre la porte et vient se coucher auprès de moi. — C’est très-mal à vous, madame ; et si vous faites bien, vous ne recevrez plus ce malheureux prêtre. — Je ne saurais m’en empêcher ; je sens que je l’aime trop pour prendre sur moi d’y renoncer. — En ce cas, je ne puis vous donner l’absolution. — J’en suis fâchée, mais je ne suis point venue ici pour dire des mensonges. Si je me sentais la force de suivre votre conseil, je vous promettrais volontiers. — En vérité, madame, j’ai regret que vous vous damniez de cette manière ; c’est fait de votre âme, si vous ne renoncez à ce commerce criminel. Tout ce que je puis faire pour vous, c’est de prier le Seigneur de vous convertir. J’espère qu’il exaucera mes ferventes prières. Je vous enverrai de temps en temps mon clerc, pour savoir si elles vous ont été de quelque secours. Si elles produisent un bon effet, nous irons plus avant, et je pourrai vous absoudre. — Dieu vous préserve, mon père, d’envoyer qui que ce soit chez moi ! mon mari est si jaloux, que s’il venait à s’en apercevoir, on ne lui ôterait pas de l’esprit que c’est pour faire du mal, et je ne pourrais vivre avec lui. Il ne me fait déjà que trop souffrir. — Ne vous embarrassez pas de cela, madame, j’arrangerai les choses de manière qu’il ne vous en parlera jamais. — À cette condition, reprit la pénitente, j’y consens de grand cœur. »

La confession achevée, et la pénitence donnée, la dame se leva et entendit la messe. Le jaloux alla quitter ses habits, puis s’en retourna chez lui, le cœur plein de ressentiment, et brûlant d’impatience de surprendre le prêtre, dans la résolution de lui faire passer un mauvais quart d’heure.

La belle, de retour au logis, n’eut pas de peine à s’apercevoir, à la mine de son mari, qu’elle lui avait mis martel en tête. Il était d’une humeur épouvantable. Quoiqu’il fît tout son possible pour n’en rien donner à connaître, il résolut de faire sentinelle, la nuit suivante, dans un réduit voisin de la porte de la rue, pour voir si le prêtre entrerait. « Il faut, dit-il à sa femme, que j’aille ce soir souper et coucher dehors ; ainsi, je te prie de tenir les portes bien fermées, celle de l’escalier et celle de ta chambre surtout. Pour celle de la rue, je me charge de la fermer et d’en emporter la clef. — À la bonne heure ! répondit-elle, tu dois être aussi tranquille que si tu étais auprès de moi. »

Voyant que les affaires prenaient la tournure qu’elle désirait, elle guetta le moment favorable pour aller au trou de communication, et fit le signe convenu. Philippe s’approche aussitôt, et la dame lui conte ce qu’elle avait fait le matin, et ce que son mari lui avait dit l’après-dînée. « Je ne suis pas dupe, continua-t-elle, de son prétendu projet : je suis même bien assurée qu’il ne sortira pas de la maison ; mais, qu’importe, pourvu qu’il se tienne près de la porte de la rue, où je suis persuadée qu’il fera sentinelle toute la nuit ? Ainsi, mon cher ami, tâchez de vous introduire chez nous par le toit, et de venir me joindre dès que