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péchés avez-vous commis ? — Croyez-vous donc que je sois une sainte, repartit-elle, et que je ne pèche pas aussi bien que les autres ? Mais ce n’est pas à vous que je dois les dire, puisque vous n’êtes pas prêtre, et que vous n’avez pas le pouvoir de m’absoudre. » Il n’en fallut pas davantage pour faire naître mille soupçons dans l’esprit du jaloux et pour lui donner envie de savoir quels péchés sa femme pouvait avoir commis. Croyant avoir trouvé un moyen assuré pour y réussir, il lui répondit qu’il consentait qu’elle allât se confesser, mais à condition que ce serait dans sa chapelle, et à son chapelain, ou à tout autre prêtre que celui-ci lui donnerait ; bien entendu qu’elle irait de grand matin, et qu’elle s’en retournerait tout de suite. La belle, qui ne manquait pas de pénétration, crut démêler quelque projet dans cette réponse ; mais, sans lui rien témoigner, elle répondit qu’elle se conformait à ses intentions.

Le jour de la fête venu, elle se lève à la pointe du jour, s’habille et va droit à l’église qui lui avait été assignée, et où son mari arriva avant elle par un autre chemin. Il avait mis le chapelain dans ses intérêts, et avait concerté avec lui ce qu’il se proposait de faire. Il se revêtit incontinent d’une soutane et d’un capuchon ou camail qui lui couvrait le visage, et alla s’asseoir au chœur dans cet équipage. La dame ne fut pas plutôt entrée dans l’église, qu’elle fit demander le chapelain, et le pria de vouloir bien la confesser. Il lui dit qu’il ne lui était pas possible de l’entendre dans le moment présent, mais qu’il allait lui envoyer un de ses collègues qui n’était pas si occupé, et qui la confesserait avec plaisir. Un moment après, elle vit venir son mari dans l’accoutrement dont je viens de parler. Quelque soin qu’il eût pris pour se cacher, comme elle se doutait de quelque tour de sa façon, elle le reconnut d’abord, et dit aussitôt en elle-même : « Béni soit Dieu ! de mari jaloux, le voilà devenu prêtre. Nous verrons qui de nous deux sera la dupe. Je lui promets de lui faire trouver ce qu’il cherche : messire Cocuage lui rendra visite, ou je serai bien trompée. »

Le jaloux avait eu la précaution de mettre de petites pierres dans sa bouche, afin de n’être pas reconnu au son de sa voix. La femme, feignant de le prendre pour un véritable prêtre, se jette à ses pieds, et, après en avoir reçu la bénédiction, se met à lui débiter ses petits péchés. Elle lui dit ensuite qu’elle était mariée, et s’accusa d’être amoureuse d’un prêtre qui couchait toutes les nuits avec elle. Ces paroles furent autant de coups de poignard pour le mari confesseur : il aurait éclaté, si le désir d’en savoir davantage ne l’eût retenu. « Mais quoi ! lui dit-il, votre mari ne couche-t-il pas avec vous ? — Il y couche, mon père. — Comment donc le prêtre peut-il y coucher ? — Je ne sais quel secret il emploie, répliqua la pénitente ; mais il n’y a point de porte au logis, quelque fermée qu’elle soit, qui ne s’ouvre aussitôt qu’il la touche. Bien plus, il m’a dit qu’avant d’entrer dans ma chambre, il était dans l’usage de prononcer