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que la fille, qui n’était ni de fer ni de diamant, ne fit pas une longue résistance. L’abbé profite de sa facilité pour lui faire mille caresses et mille baisers plus passionnés les uns que les autres. Il l’attire ensuite près du lit, et dans l’espoir de lui inspirer de la hardiesse, il y monte le premier. Il la prie, la sollicite de suivre son exemple, ce qu’elle fit après quelques petites simagrées. Mais croirait-on que le vieux penard, sous prétexte de ne point la fatiguer par le poids de sa révérence, qui à la vérité n’était pas maigre, lui fit prendre une posture qu’il aurait dû prendre lui-même, et que d’autres que lui n’auraient certainement pas dédaignée ?

Cependant le jeune moine n’était point allé au bois, il n’en avait fait que le semblant, et s’était caché dans un endroit peu fréquenté du dortoir. Il n’eut pas plutôt vu le révérend père abbé entrer dans sa cellule qu’il fut délivré de toutes ses craintes. Il comprit, dès ce moment, que le tour plein de malice qu’il avait imaginé aurait son entier effet. Pour en être convaincu, il s’approcha tout doucement de la porte et vit par un petit trou, qui n’était connu que de lui seul, tout ce qui se passa entre la fille et le très-révérend père.

Lorsque l’abbé en eut pris à son aise avec la jeune paysanne, et qu’il fut convenu avec elle de ce qu’il se proposait de faire, il la quitta, referma la porte à clef et se retira dans sa chambre. Peu de temps après, sachant que le moine était dans le couvent, et croyant tout bonnement qu’il revenait du bois, il l’envoya promptement chercher, dans l’intention de le réprimander vivement et de le faire mettre en prison, pour se délivrer d’un rival et jouir seul de sa conquête. Dès qu’il le vit entrer, il prit un visage sévère. Quand il lui eut lavé la tête d’importance, et qu’il lui eut dit la punition qu’il lui réservait, le jeune moine, qui ne s’était point déconcerté, lui répondit aussitôt : « Mon très-révérend père, je ne suis pas assez ancien dans l’ordre de Saint-Benoît pour en connaître encore toutes les règles. Vous m’avez bien appris les jeûnes et les vigiles ; mais vous ne m’aviez point encore dit que les enfants de Saint-Benoît dussent donner aux femmes la prééminence et s’humilier sous elles ; à présent que Votre Révérence m’en a donné l’exemple, je vous promets de n’y manquer jamais, si vous me pardonnez mon erreur. »

Le père abbé, qui n’était pas sot, comprit tout de suite que le moine en savait plus long que lui, et qu’il devait avoir vu tout ce qu’il avait fait avec la fille. C’est pourquoi, tout honteux de sa propre faute, il n’osa lui faire subir une punition qu’il méritait aussi bien que lui. Il lui pardonna donc de bon cœur, et lui imposa silence sur tout ce qui s’était passé. Ils prirent ensemble des mesures pour faire sortir la fille secrètement du monastère, et vraisemblablement pour l’y faire rentrer plusieurs autres fois.