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Rien n’est plus capable de nous porter au mal que la mauvaise opinion qu’on a de nous. Cette femme, se voyant sans sujet martyre de la jalousie de son mari, crut qu’il n’en serait ni plus ni moins de l’être avec fondement. Mais comment s’y prendre pour venger l’injure faite à sa sagesse ? Les fenêtres étaient toujours fermées, et le jaloux se donnait bien de garde d’amener qui que ce fût au logis à qui elle eût pu inspirer de l’amour. N’ayant donc pas la liberté de choisir, et sachant que, dans la maison contiguë à la sienne, demeurait un jeune homme bien fait et bien élevé, elle souhaitait qu’il y eût quelque fente à la muraille de séparation, où elle regarderait si souvent, qu’enfin elle pourrait le voir, lui parler et lui donner son cœur, s’il voulait l’accepter, persuadée qu’il lui serait ensuite aisé de trouver les moyens de se voir de plus près, pour faire un peu diversion aux tyrannies qu’elle essuyait, jusqu’à ce que son jaloux se guérît de sa frénétique passion.

Dans cette idée, elle ne fut occupée, pendant l’absence de son mari, qu’à visiter le mur de côté et d’autre, en soulevant à mesure la tapisserie qui le couvrait. À force d’en parcourir les différents endroits, elle aperçut une petite fente. Elle approche ses yeux de cette ouverture, et voit un peu de jour à travers. Quoiqu’il ne fût pas possible de distinguer par là les objets, il lui fut néanmoins facile de juger que ce devait être une chambre. « Si c’était par hasard celle de Philippe, disait-elle en elle-même, mon entreprise serait à moitié exécutée. Dieu le veuille ! » Sa servante, qu’elle avait mise dans ses intérêts, et qui plaignait son sort, fut chargée de s’en informer adroitement. Cette zélée confidente découvrit que la petite fente donnait précisément dans la chambre du jeune homme, et qu’il y couchait seul. Dès ce moment, la belle ne s’occupait qu’à visiter le petit trou, surtout lorsqu’elle soupçonnait que Philippe pouvait être chez lui. Un jour qu’elle l’entendit tousser, elle se mit aussitôt à gratter la fente avec un petit bâton. Elle fit si bien, que le jeune homme s’approcha pour voir ce que c’était. Elle l’appelle alors tout doucement ; et Philippe l’ayant reconnue au son de sa voix, et lui ayant répondu gracieusement, elle se hâta de lui faire connaître les sentiments d’estime qu’elle avait conçus pour lui. Le jeune homme, enchanté d’une si heureuse aventure, travailla, de son côté, à agrandir le trou, ayant soin de le couvrir de la tapisserie toutes les fois qu’il s’en retirait. En peu de temps la fente fut assez large pour se voir et se toucher la main ; mais les deux amants ne pouvaient rien faire de plus, à cause de la vigilance du jaloux, qui sortait rarement du logis, et qui renfermait sa femme à la clef lorsqu’il était obligé de s’absenter pour quelque temps.

Les fêtes de Noël n’étaient pas éloignées, lorsqu’un beau matin la femme dit à son mari qu’elle désirait de se confesser et de se mettre en état de faire ses dévotions le jour de la nativité du Sauveur, ainsi que le pratiquent tous les bons chrétiens. « Qu’avez-vous besoin de vous confesser ? répondit-il. Quels