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mettre fin à cette querelle. Informés par les voisins de la vérité du fait, ils se jetèrent sur le pauvre cornard et lui donnèrent tant de coups, qu’ils faillirent l’assommer. Après cette belle expédition, ils entrent dans la maison, disent à la femme de ramasser tout ce qui lui appartient ; et, après qu’elle leur a remis ses nippes, ils l’emmènent avec eux, faisant entendre à Tofano qu’il n’en serait peut être pas quitte pour les coups qu’il avait reçus. Ce pauvre diable en fut malade et comprit, mais trop tard, que la jalousie l’avait mené trop loin. Comme il aimait beaucoup sa femme, il fit son possible pour se raccommoder avec elle. Il employa ses amis, qui la lui ramenèrent, sur la promesse qu’il leur avait faite de n’être plus jaloux et d’avoir pour elle toute sorte d’égards. Il porta la complaisance si loin, après qu’il eut fait sa paix avec elle, qu’il lui permit de vivre comme elle voudrait, pourvu qu’elle s’y prît de manière à ne l’en pas faire apercevoir. C’est ainsi que ce mari devint sage à ses dépens. Vive l’amour pour corriger les hommes ! et meure à jamais l’affreuse jalousie qui les fait donner dans tant de travers !


NOUVELLE V

LE MARI CONFESSEUR

Il y eut autrefois à Rimini un marchand très-riche en fonds de terre et en argent, dont la femme était belle et au printemps de son âge. Il en devint jaloux outre mesure. Quelle était sa raison ? il n’en avait pas d’autre, sinon qu’il l’aimait à la folie, qu’il la trouvait parfaitement belle et bien faite, qu’elle ne s’étudiait qu’à lui plaire, et qu’il s’imaginait qu’elle cherchait également à plaire aux autres, chacun la trouvant aimable, et ne se lassant point de louer sa beauté : idée bizarre, qui ne pouvait sortir que d’un esprit étroit ou malsain. Gourmandé sans cesse par cette jalousie, il ne la perdait point un instant de vue ; de sorte que cette infortunée était gardée de plus près que ne le sont beaucoup de criminels condamnés à mort. Il n’y avait pour elle ni noces, ni fêtes, ni promenades ; il ne lui était même permis d’aller à l’église que les jours de grande solennité, et elle passait le reste du temps à la maison, sans avoir la liberté de mettre la tête aux croisées de la rue pour quelque raison que ce fût. Sa condition, en un mot, était des plus malheureuses, et elle la supportait avec d’autant plus d’impatience qu’elle n’avait pas le moindre reproche à se faire.