Page:Boccace - Contes de Boccace, trad De Castres, 1869.djvu/413

Cette page n’a pas encore été corrigée

meilleur vin avec des confitures, et traita du mieux qu’il lui fut possible les deux religieux, qui avaient besoin de réparer leurs forces. Il les accompagna ensuite jusqu’à la porte, et leur renouvela ses remercîments en leur disant adieu. Il n’eut rien de plus pressé que de commander la statue de cire, qu’on plaça effectivement devant un saint Ambroise qui n’est pas celui de Milan.


NOUVELLE IV

LE JALOUX CORRIGÉ

Il y avait autrefois dans la ville d’Arezzo un homme riche, nommé Tofano, marié depuis peu à une jeune et belle demoiselle, nommée Gitta, dont il devint aussitôt extrêmement jaloux, on ne sait trop pourquoi. La femme, qui ne tarda pas à s’en apercevoir, en eut beaucoup de déplaisir et se crut offensée. Elle lui demanda plusieurs fois le sujet de sa jalousie ; mais elle n’en tira jamais que ces raisons vagues que les hommes ont coutume d’alléguer en pareil cas. Fatiguée de se voir continuellement la victime d’une maladie d’esprit à laquelle sa conduite n’avait aucunement donné lieu, elle résolut de punir son mari, en lui faisant subir le sort qu’il redoutait sans en avoir le moindre sujet. Dans ce dessein, elle jeta les yeux sur un jeune homme fort aimable, qui avait pour elle de l’inclination, et qu’elle avait dédaigné jusqu’alors. Elle lui fit savoir secrètement ses dispositions. Elle mit en peu de temps les choses en tel état, qu’il ne leur manquait plus qu’une occasion favorable pour être parfaitement heureux. Entre les défauts de son mari, la belle avait remarqué qu’il aimait fort à boire : non-seulement elle lui laissa suivre son penchant à cet égard, mais elle le favorisa de son mieux, pour tourner au profit de l’amour les moments de liberté qu’elle aurait pendant son ivresse. Le jaloux s’accoutuma si fort au vin, qu’elle l’enivrait quand elle voulait ; et, quand il était ivre, elle le faisait coucher. C’est par ce moyen qu’elle vint à bout de voir son amant, et de passer avec lui les moments les plus agréables. Le succès de ce manège lui inspira une telle confiance, que, non-seulement elle le faisait venir chez elle, mais qu’elle allait quelquefois le trouver dans sa propre maison, qui n’était guère éloignée de la sienne, et où elle passait la plus grande partie de la nuit.

Cependant le mari, s’étant aperçu que lorsqu’elle le faisait boire elle ne buvait jamais, commença à avoir des soupçons, et se douta de ce qui se passait. Pour s’en convaincre, il passa une grande partie de la journée hors de chez lui