Page:Boccace - Contes de Boccace, trad De Castres, 1869.djvu/411

Cette page n’a pas encore été corrigée

mes habits, nous trouverions quelque excuse ; mais, si vous lui ouvrez et qu’il me voie en cet état, il n’y aura pas moyen d’en trouver. — Habillez-vous promptement, dit la belle en se ravisant ; prenez ensuite votre filleul dans vos bras, et écoutez bien ce que je dirai à mon mari, afin que ce que vous direz, de votre côté, s’accorde avec ce que j’aurai dit ; dépêchez-vous seulement, et laissez-moi le soin de nous disculper. » Cela dit : « Je suis à vous dans le moment, » cria-t-elle à son mari. Elle court ensuite lui ouvrir la porte, et lui dit, d’un visage gai : « Vous saurez, mon ami, que frère Renaut, notre compère, est venu nous voir fort à propos. C’est un coup du ciel ; sans lui nous perdions aujourd’hui notre enfant. » À ces derniers mots, le bonhomme de mari faillit à se trouver mal. Il en fut tout interdit, et n’ouvrit la bouche que pour demander le malheur qui était arrivé. « Hélas ! continua-t-elle, ce pauvre petit est tout à coup tombé dans une telle faiblesse que je le croyais mort. Je ne savais comment m’y prendre pour le faire revenir, lorsque frère Renaut est entré. Il l’a examiné, l’a pris entre ses bras : Ce sont des vers, ma commère, m’a-t-il dit, qui lui montent au cœur, et qui l’étoufferaient si l’on n’y remédiait promptement. Ne vous chagrinez pas, je les enchanterai, et, avant que je sorte d’ici ils seront tous morts, et vous verrez votre enfant aussi sain et aussi bien portant qu’avant sa faiblesse. Comme vous étiez nécessaire ici, continua la dame, pour dire certaines oraisons, et que la servante n’a pu vous trouver, frère Renaut les a fait dire à son compagnon au plus haut étage de la maison. Je suis entrée ici avec lui, parce que personne autre que le père ou la mère de l’enfant ne peut assister à cet enchantement. Nous nous sommes donc enfermés pour n’être interrompus par qui que ce fût. Il tient encore en ce moment notre cher fils entre ses bras, et il pense que, lorsque son compagnon aura achevé de dire ses oraisons, tout sera fait ; car l’enfant est déjà beaucoup mieux. »

Ce récit déconcerta tellement le pauvre benêt de mari, qui idolâtrait son fils, qu’il prit tout cela pour argent comptant. « Hélas ! que je le voie, dit-il en soupirant. — Gardez-vous-en bien, reprit Agnès, vous gâteriez tout. Attendez encore un peu. Je vais savoir si vous pouvez entrer, ne vous étant pas trouvé au commencement ; je vous appellerai ensuite. »

Frère Renaut, à qui ce récit, dont il n’avait rien perdu, avait donné le temps de s’habiller, prit l’enfant dans ses bras ; et, voyant que le mari avait donné dans le panneau, il cria tout haut : « Ma commère, n’est-ce pas le compère que j’entends ? — C’est moi-même, mon révérend père, répondit le mari. — Avancez donc, s’il vous plaît, » reprit le moine. Le bonhomme s’étant approché : « Tenez, voilà votre enfant en parfaite santé. Tout ce que je vous demande pour le service que je viens de vous rendre, c’est que vous fassiez mettre un enfant de cire, de la grandeur du vôtre, devant l’image de saint Ambroise, par les mérites duquel le Seigneur vous a fait cette grâce. » L’enfant, voyant son père, courut aussitôt