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Frère Renaut, revenu à ses premières inclinations, rendait de fréquentes visites à sa commère et devenait chaque jour plus hardi. Il sollicita la dame avec plus d’onction, plus de persévérance qu’il ne l’avait fait autrefois. La bonne Agnès, qui avait eu le temps de se lasser de son mari, qui se voyait ainsi pressée, qui trouvait frère Renaut plus mûr, plus beau, plus musqué depuis qu’il s’était fait moine, vaincue un jour par ses sollicitations, se retrancha dans ces expressions vagues dont se servent les femmes portées à accorder ce qu’on leur demande. « Comment ! frère Renaut, lui dit-elle, est-ce que les religieux font ces sortes de choses ? — Quand j’aurai ôté l’habit que vous me voyez, répondit le moine, je vous livre, madame, un homme fait comme les autres. » La belle, continuant de faire la petite bouche : « Dieu me préserve, s’écria-t-elle, d’avoir une pareille condescendance ! N’êtes-vous pas mon compère ? le péché serait trop grand ; et c’est ce qui m’empêche de céder à vos désirs. — Belle raison pour vous en empêcher ! repartit le paillard ; j’avoue que ce serait un péché ; mais quels péchés beaucoup plus grands le bon Dieu ne pardonne-t-il pas, lorsqu’on s’en repent ? D’ailleurs, dites-moi, je vous prie, qui est plus proche parent de votre fils, ou votre mari qui l’a engendré, ou moi qui l’ai tenu sur les fonts de baptême ? » La dame répondit que c’était son mari. « Eh bien, reprit le moine, cela empêche-t-il que vous ne couchiez avec lui ? — Non, assurément, dit Agnès. — Je puis donc y coucher aussi bien que lui, moi qui ne tiens pas de si près à votre fils. » La belle, qui n’était pas habile en l’art de raisonner, et qui se déconcertait pour peu de chose, crut ou feignit de croire que le moine avait raison. « Qui pourrait résister, compère, lui dit-elle, à votre éloquence ? » Après cela elle se rendit, et consentit à tout ce qu’il voulut. On imagine bien que ce ne fut pas pour cette fois seulement. Le compère et la commère se retrouvèrent plusieurs autres fois, et avec d’autant plus d’aisance et de liberté, que le compérage les mettait à l’abri de tout soupçon.

Un jour que frère Renaut était sorti avec un de ses compagnons, il crut, avant de rentrer au couvent, devoir passer chez sa commère. Il n’y avait avec elle dans la maison qu’une jeune et jolie servante. Le compère envoya son camarade au grenier avec cette petite fille pour lui enseigner sa patenôtre. Pour lui, il entra dans la chambre à coucher avec sa commère, qui tenait son petit enfant par la main, et ayant fermé la porte, ils s’assirent sur un petit lit de repos. Après s’être fait mutuellement quelques légères caresses, frère Renaut quitta son froc pour se livrer à de plus grandes. À peine ces heureux amants avaient-ils passé une demi-heure ensemble, que le mari, qui venait de rentrer, se fit entendre à la porte de la chambre, heurtant et appelant sa femme. « Je suis perdue, dit-elle alors ! voici mon mari. Il n’est pas douteux qu’il ne s’aperçoive à présent de notre commerce. » Frère Renaut, sans capuchon et sans soutane, commence à trembler de son côté. « Si j’avais seulement le temps de reprendre