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interdite, et, toute honteuse, redoutant quelque terrible affront, elle se mit à pleurer. L’abbé, qui la regardait du coin de l’œil, étonné de la trouver si jolie, fut touché de ses larmes ; et, l’indignation faisant place à la pitié, il n’eut pas la force de lui adresser le moindre reproche. Le démon est toujours aux trousses des moines : il profite de ce moment de faiblesse pour tenter celui-ci, et tâche de réveiller en lui les aiguillons de la chair. Il lui présente l’image des plaisirs qu’a goûtés son jeune confrère ; et bientôt, malgré les rides de l’âge, l’abbé, éprouvant le désir d’en goûter de pareils, se dit à lui-même : « Pourquoi me priverais-je d’un bien qui s’offre à moi ? Je souffre assez de privations, sans y ajouter encore celle-là ! Ma foi, cette fille est tout à fait charmante ! Pourquoi n’essayerais-je point de la conduire à mes fins ? Qui le saura ? Qui pourra jamais en être instruit ? Péché secret est à demi pardonné. Profitons donc d’une fortune qui ne se représentera peut-être jamais, et ne dédaignons point un plaisir que le ciel nous envoie, » Dans cet esprit, il s’approche de la belle affligée ; et, prenant un tout autre air que celui qu’il avait en entrant, il cherche à la tranquilliser, en la priant avec douceur de ne point se chagriner. « Cessez vos pleurs, mon enfant ; je comprends que vous avez été séduite : ainsi ne craignez point que je vous fasse aucun tort ; j’aimerais mieux m’en faire à moi-même. » Il la complimenta ensuite sur sa taille, sur sa figure, sur ses beaux yeux ; et il s’exprima de manière et d’un ton à lui laisser entrevoir sa passion. On juge bien