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faut-il que je sois née ! je pouvais me marier à un très-aimable et très-honnête jeune homme ; pour qui l’ai-je refusé ? pour un ingrat qui ne fait aucun cas de moi. Les autres femmes en prennent à leur aise ; elles se donnent du bon temps avec leur amoureux ; il n’y en a pas une qui n’en ait ; quelques-unes en ont deux, d’autres en ont même jusqu’à trois : elles sont partout triomphantes, parées comme des divinités, brillantes comme des astres ; et moi, parce que je suis bonne et ne songe point à ces folies, je me vois dans la peine et la souffrance. Pourquoi ne pas imiter les autres ? Apprenez, mon mari, puisqu’il faut vous le dire, apprenez que si je voulais mal faire, les occasions ne me manqueraient pas. Je connais des jeunes gens qui m’aiment, et qui me font offrir de l’argent, des robes et des bijoux ; mais Dieu me préserve d’avoir assez peu d’honneur pour jamais accepter de pareilles offres ! Je suis fille d’une femme qui n’a jamais donné dans le travers, et je n’y donnerai pas non plus, s’il plaît au ciel, malgré ma pauvreté. Mais, mon cher, pourquoi revenir sitôt, au lieu d’être au travail ? — Au nom de Dieu, ma femme, ne te chagrine point, répondit le mari. Tu dois être persuadée que je connais ta vertu, et que je sais te rendre la justice qui t’est due. Il est vrai que je suis parti de bonne heure pour aller travailler ; mais tu ne sais pas, et je l’ignorais moi-même, que c’est aujourd’hui la fête de saint Galeri, que tout le monde chôme. Pour du pain, ne t’en inquiète pas : nous en avons d’assuré pour plus d’un mois. J’ai vendu à cet homme que tu vois ici avec moi, le grand vaisseau de terre qui depuis longtemps ne fait que nous embarrasser. Il m’en donne cinq écus. — Quoi ! toujours de nouvelles sottises ! s’écrie alors Perronnelle ; vous qui êtes un homme, vous qui allez et courez partout, et qui devriez connaître le prix des choses, vous n’avez vendu ce tonneau que cinq écus ! Sachez donc que moi, qui ne suis qu’une petite femme, et qui n’ai fait que mettre le pied sur la porte, je l’ai vendu sept écus à un homme qui est entré il n’y a qu’un moment, et qui le visite pour voir s’il est en bon état. » Le mari, fort content du marché qu’avait fait sa chère Perronnelle, dit à l’acheteur qu’il avait amené : « Puisque ma femme, pendant mon absence, a vendu le vaisseau, et qu’on lui en offre deux écus de plus que vous ne m’en donniez, vous pouvez vous retirer ; » ce que le marchand fit sans insister davantage. « Puisque vous voilà ici, continua Perronnelle, allez-vous-en là-haut pour finir le marché avec l’homme que j’ai fait monter. »

Jeannet, qui écoutait de toutes ses oreilles, ayant entendu cette conversation, sortit vite du tonneau, et, comme s’il eût ignoré le retour du mari, se mit à crier : « Où êtes-vous donc, bonne femme ? — Me voici, dit le mari qui montait, qu’y a-t-il pour votre service ? — Je demande la femme avec qui j’ai fait le marché de ce tonneau. — Vous pouvez agir avec moi comme avec elle, répondit le maçon ; je suis son mari. — Le vaisseau, reprit le galant, me paraît bon et