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à souper qu’un morceau de lard bouilli. Les deux chapons, plusieurs œufs frais et une bouteille de bon vin furent enveloppés, par son ordre, dans une serviette bien propre, et portés par sa confidente dans un jardin où l’on pouvait entrer sans passer par la maison. Tu poseras tout cela, lui dit-elle, au pied du pêcher où nous avons soupé plusieurs fois. Mais la précipitation avec laquelle cela fut fait, pour en dérober la connaissance au mari, jointe à la mauvaise humeur qu’elle avait déjà, fut cause qu’elle oublia de dire à la fille d’attendre Fédéric pour le renvoyer, après lui avoir fait emporter le souper.

Quand le mari et la femme eurent tristement mangé leur morceau de lard, ils se couchèrent, et la servante aussi. À peine furent-ils dans le lit, que voilà le galant qui arrive et qui frappe doucement à la porte. Le mari l’entend d’abord, et la belle encore mieux ; mais pour ne point donner des soupçons au cocu, elle fit semblant de dormir. Fédéric heurte une seconde fois. Jean, étonné, pousse sa femme, et lui dit : « Entends-tu, Tesse ! quelqu’un heurte à la porte. — Hélas ! répondit-elle, je n’en suis pas surprise : c’est un revenant, un esprit qui me fait une peur terrible depuis plusieurs nuits : tellement qu’aussitôt que je l’entends, je fourre ma tête dans les draps, et n’ose me lever qu’il ne soit grand jour. — Rassure-toi, ma femme ; si c’est un esprit, il ne nous fera pas de mal : j’ai dit, en me mettant au lit, le Te lucis et l’Intemerata. De plus, j’ai fait le signe de la croix aux quatre coins du lit ; ainsi, quelque pouvoir qu’il ait, nous n’avons pas à craindre qu’il nous nuise en aucune façon. » La belle, peu contente d’avoir donné le change au bonhomme, craignant que son amant ne la soupçonnât de n’être pas à lui seul, résolut de se lever et de lui faire entendre qu’elle était avec son mari. Dans cette idée, elle dit à Jean : « Vos oraisons et vos signes de croix ne me rassurent pas beaucoup, s’il faut vous parler net, je ne serai tranquille qu’après que nous l’aurons conjuré. — Et comment le conjurer ? répondit le benêt de mari. — Ne t’inquiète pas de cela, répliqua-t-elle. J’allai l’autre jour gagner mes indulgences à Fiésole : une sainte religieuse, à qui je fis part de ma peur, m’enseigna une oraison infaillible pour conjurer et chasser à jamais les esprits et les revenants. Elle en a fait l’expérience et s’en est bien trouvée. J’aurais déjà éprouvé sa recette, mais je n’ai pas osé, parce que j’étais seule. Maintenant que tu es avec moi, levons-nous, si tu m’en crois, et allons le conjurer, avant qu’il se retire de lui-même, afin qu’il ne revienne plus. » Jean y consentit. Ils se lèvent donc, et vont à la porte où Fédéric, plein d’impatience et de jalousie, commençait à soupçonner la fidélité de sa maîtresse. Tout en y allant, Tesse dit à son mari de cracher au moment qu’elle l’avertirait. Ce bonhomme le lui promit ; et quand ils furent près de la porte, elle commença son oraison, disant : « Esprit, esprit qui cours ainsi la nuit, tu es venu ici la queue droite, retourne-t’en de même. Tu trouveras au jardin, au pied du gros pêcher, deux bons poulets, quantité d’œufs