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enseignaient en récompense force bonnes oraisons et lui donnaient tantôt le Pater noster en langue vulgaire, tantôt le cantique de saint Alexis ; une autre fois les discours de saint Bernard, l’hymne de sainte Mathilde, et plusieurs autres choses de cette nature, qu’il conservait précieusement pour le salut de son âme.

Ce bonhomme avait une femme belle et charmante, nommée Tesse, fille de Manucio de Curculia, aussi prudente et aussi leurrée que son mari l’était peu. Elle n’ignorait pas sa supériorité sur lui à cet égard, et la commère se proposait d’en tirer parti dans l’occasion. L’esprit est un bon meuble ; la nature ne nous l’a donné que pour nous en servir. Aussi s’en servit-elle.

Devenue amoureuse de Fédéric de Néri Pégoloti, beau garçon qui la guettait depuis longtemps, et qui, par conséquent, ne l’aimait pas moins, elle lui fit dire par sa servante d’aller la trouver à une maison de campagne, nommée Camérata, qu’elle possédait près de Florence, où elle avait coutume de passer l’été, et où son mari allait quelquefois souper et coucher avec elle pour s’en retourner le lendemain à sa boutique. Fédéric, qui ne désirait autre chose que de pouvoir joindre la belle, ne manqua pas de se trouver au rendez-vous. Il alla la voir le soir même, et comme le mari n’y vint point ce jour-là, le galant soupa tranquillement et coucha avec sa maîtresse, qui, comme on peut le croire, n’employa pas toute sa nuit à dormir. Elle lui apprit, le tenant serré dans ses bras, une demi-douzaine des oraisons de son mari. Ces heureux amants se trouvèrent trop bien des plaisirs de cette nuit pour ne pas prendre des mesures pour les goûter aussi souvent qu’ils le pourraient sans danger. Il fut donc décidé, avant de se séparer, que, pour épargner à la servante la peine de l’aller chercher, Fédéric irait tous les jours à une maison de campagne qu’il avait au delà de celle de sa maîtresse par où il passait pour y aller ; qu’en allant ou revenant il aurait soin de jeter un coup d’œil sur le coin d’une vigne voisine de la maison, où il verrait une tête d’âne sur la pointe d’un gros échalas ; que lorsque le museau de cette tête serait tourné du côté de la ville, ce serait signe que le mari serait absent, et qu’il ne tiendrait qu’à lui d’occuper sa place cette nuit ; que dans le cas que la porte se trouvât fermée, il frapperait trois coups, après lesquels il n’attendrait pas longtemps sans qu’on lui ouvrît : mais que si le museau était tourné du côté de Fiésole, cela voudrait dire que maître Jean était dans la maison, et qu’il ne devait pas y entrer. Par le moyen de cet arrangement, la belle et le galant passèrent plusieurs nuits ensemble sans avoir besoin de commissionnaire pour s’avertir et sans crainte d’être surpris. Mais un soir que Fédéric devait aller souper avec la dame qui l’attendait avec deux bons poulets rôtis, il arriva que maître Jean, qui ne comptait pas pouvoir, ce jour-là, se rendre auprès de sa femme, y alla pourtant, et fort tard, contre sa coutume. Tesse fut fort fâchée de sa visite. Pour l’en punir, elle ne lui servit