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a voulu que, pour réveiller en vous la dévotion que vous devez à ce saint martyr, et pour vous disposer à célébrer dignement sa fête, je vous fisse voir aujourd’hui les charbons bénits qui ont servi à son martyre, au lieu de la plume de l’ange Gabriel, dont la fête est encore éloignée.

« Découvrez donc vos têtes, mes chers enfants, et venez voir avec respect cette auguste relique. Je dois vous dire que quiconque sera marqué de ces charbons en signe de croix, le feu ne le brûlera point de toute l’année, à moins qu’il ne le sente. »

Après ce discours de vrai charlatan, il chanta un cantique à la louange de saint Laurent, ouvrit la boîte, et montra à cette sotte multitude les charbons qu’elle renfermait. Quand il eut donné le temps à tout le monde de les voir et de les admirer, chacun s’empressa de s’en faire marquer et donna une offrande plus forte que de coutume. Frère Oignon, de son côté, fut libéral de croix, et n’épargna point ses charbons à marquer les habits de toile blanche des hommes, et les voiles des femmes, leur faisant entendre qu’à mesure qu’ils s’usaient dans ses doigts, ils croissaient dans la boîte, comme il l’avait éprouvé dans une autre occasion : de sorte qu’ayant ainsi croisé tous les habitants de Certalde, à son très-grand profit, il s’applaudit en lui-même d’avoir eu l’esprit de se moquer de ceux qui avaient cru lui faire pièce en lui dérobant la plume. Les voleurs avaient assisté à la prédication, et furent si contents de la défaite que frère Oignon avait trouvée, et de la tournure plaisante qu’il avait donnée à la chose, qu’ils manquèrent de se démonter les mâchoires à force de rire. Quand l’assemblée fut dispersée, ils joignirent le moine, lui apprirent ce qu’ils avaient fait, et lui rendirent sa plume, dont il ne tira pas moins de profit, l’année suivante, qu’il venait d’en tirer des charbons.