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les clochettes et d’apporter sa besace. Le valet avait de la peine à quitter la cuisine et la cuisinière, qu’il espérait toujours de pouvoir gagner ; mais enfin il obéit.

Après que tout le peuple fut réuni, frère Oignon, qui ne s’aperçut point qu’on eût touché à sa besace, commença sa prédication, et dit mille choses sur le respect dû aux saintes reliques. Quand il fut question de montrer la plume de l’ange Gabriel, il fit allumer deux cierges, ôta son capuchon, développa tout doucement la petite boîte, et l’ouvrit ensuite avec beaucoup de respect, après avoir dit quelques mots en l’honneur de l’ange Gabriel et de sa relique. Surpris de n’y trouver que des charbons, il fronça le sourcil de dépit, mais il ne se déconcerta pas ; il ne soupçonna point son valet de lui avoir joué ce mauvais tour, parce qu’il n’avait pas assez bonne opinion de son esprit. Il ne lui fit même point de reproches d’avoir mal gardé sa besace ; il ne s’en prit qu’à lui-même d’en avoir confié la garde à un homme qu’il connaissait si paresseux, si peu obéissant et si dépourvu de toute espèce d’intelligence. Mais, levant les yeux et les mains vers le ciel, il s’écria de manière à être entendu de tout le monde : « Bénie soit à jamais, ô mon Dieu, ta puissance, et que ta volonté soit faite en tous temps et en tous lieux ! » Après cette exclamation, il referme la boîte ; et se tournant vers le peuple : « Messieurs et dames, leur dit-il d’un ton toujours élevé, pour que tous les auditeurs pussent l’entendre, je dois vous dire que j’étais encore fort jeune, lorsque je fus envoyé par mon supérieur chez les Orientaux, avec ordre de faire toutes les découvertes qui pourraient être avantageuses à notre pays en général, et à notre couvent en particulier. Je partis de Venise, je passai par le bourg des Grecs, et après avoir traverse le royaume de Garbe et de Balducque, j’arrivai quelque temps après en Parion, non sans être fort altéré, comme vous pouvez croire ; et de là je vins en Sardaigne. Mais qu’ai-je besoin de vous détailler ici les divers pays que j’ai parcourus ? Il me suffira de vous dire que lorsque j’eus passé le bras de Saint-George, et que j’eus traversé la Truffie et la Bouffie, qui sont des pays fort habités, je passai dans la terre de Mensonge, où je rencontrai beaucoup de moines et d’autres ecclésiastiques qui fuyaient tous la peine et le travail, le tout pour l’amour de Dieu, et qui s’inquiétaient fort peu de la peine des autres, à moins qu’il ne leur en vînt quelque profit, ne dépensant d’autre argent dans ce pays que de la monnaie sans coin. J’allai de là dans la Brusse, où les hommes et les femmes vont en patins par-dessus les montagnes, où l’on est dans l’usage d’habiller les cochons de leurs propres boyaux. Un peu plus loin, je trouvai un peuple qui portait le pain dans des tonneaux, et le vin dans des sacs. Après avoir quitté ce peuple, j’arrivai aux montagnes de Bacchus, où toutes les eaux coulent en descendant, et je pénétrai si avant dans ce pays, que je me trouvai dans très-peu de temps dans l’Inde-Pastenade, où, je jure par l’habit que je porte, je vis voler les couteaux ; chose