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les femmes qui le regardent sont amoureuses de lui ; et si l’on voulait le laisser faire, il courrait après elles, comme les chiens après les lièvres. Il faut cependant convenir qu’il me sert avec beaucoup de zèle ; car personne ne me parle jamais en secret, qu’il ne veuille savoir ce qu’on me dit ; et s’il arrive que quelqu’un me demande quelque chose, il a tant de peur que je ne sache point répondre, qu’il est le premier à dire oui ou non, selon qu’il le juge convenable… » Mais reprenons le fil de notre histoire.

Frère Oignon avait laissé cet habile valet à son logis, avec ordre de prendre bien garde que personne ne touchât à son bagage, et surtout à la besace où il tenait ses reliques. Mais Gucchio Lourdaud, qui se plaisait plus dans les cuisines que le rossignol ne se plaît sur les verts feuillages, surtout quand il savait qu’il y avait quelque servante, était descendu dans celle de l’auberge, où il avait vu une grosse cuisinière, mal faite, rabougrie, avec deux horribles tétasses longues et pendantes, et un visage large, ratatiné, plus hideux que celui du plus laid des Baronchi. Cette vilaine créature enfumée, suante et toute barbouillée de graisse, ne laissa pas de lui paraître ragoûtante. L’empressement avec lequel il était allé la joindre fit qu’il laissa la chambre du frère Oignon ouverte, et son petit bagage exposé à l’abandon. Quoiqu’on fût alors dans le mois d’août, et par conséquent au fort de la chaleur de l’été, il s’assit auprès du feu, et commença d’entrer en conversation avec cette servante, qui se nommait Nute. Il débuta par lui dire qu’il était gentilhomme par procureur, et qu’il avait plus de mille écus, sans y comprendre ceux qu’il devait bientôt donner pour achever d’acquitter certaines dettes. Il n’y eut point de bien qu’il ne lui dit de sa personne ; et sans faire attention qu’il portait un chapeau plein de crasse et rongé des bords, que son habit était tout déchiré, tout rapiécé de morceaux de différentes étoffes, que sa culotte, percée en plusieurs endroits, laissait voir sa cuisse noire et velue comme celle d’un sanglier, que ses souliers s’en allaient en lambeaux, il ajouta, comme s’il eût été un gros seigneur, qu’il voulait l’habiller tout de neuf et la retirer du service ; que sans avoir de grands héritages, il se faisait fort de lui procurer une honnête aisance : en un mot, il n’y eut point de magnifiques promesses qu’il ne lui fît. Mais comme rien n’annonçait en lui qu’il fût en état d’en effectuer aucune, il ne réussit qu’à se faire moquer de lui et à passer pour un véritable fou dans l’esprit de la servante.

Blaise Pissin et Jean de la Bragonière, ravis de trouver Gucchio Cochon occupé à en conter à la cuisinière du logis, entrèrent sans peine dans la chambre du religieux. La première chose qui leur tomba sous la main fut précisément la besace où était la plume. Ils l’ouvrent, la fouillent, et trouvent une petite boîte enveloppée dans je ne sais combien de morceaux de taffetas, et dans la boîte une plume de la queue d’un perroquet vert. Ils ne doutent point que ce ne soit celle que le moine avait promis de faire voir aux habitants de Certalde, et ils s’en