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de l’ange Gabriel. Il la laissa tomber dans la chambre de la vierge Marie, quand il vint lui annoncer qu’elle concevrait et enfanterait le Sauveur du monde.

Après cet avertissement, le bon religieux prit congé de l’assemblée, et entra dans l’église pour y entendre la messe.

Pendant ce temps-là, deux drôles fins et découplés, l’un appelé Jean de la Bragonière, l’autre Blaise Pissin, qui avaient entendu ce qu’il venait de dire au peuple assemblé, complotèrent de lui faire pièce, quoiqu’ils fussent de ses amis et de sa compagnie. La plume prétendue de l’aile de l’ange Gabriel les avait fait beaucoup rire ; ils résolurent de la lui enlever, pour jouir ensuite de son embarras quand il voudrait la montrer au peuple. Frère Oignon dîna ce jour-là au château. Quand ils surent qu’il était à table, ils se rendirent aussitôt à l’auberge où il logeait, et convinrent que l’un amuserait le valet du moine, tandis que l’autre chercherait la plume dans le sac du frère quêteur, se faisant d’avance un plaisir de voir la manière dont il s’y prendrait pour s’excuser devant ses auditeurs, auxquels il s’était engagé de la montrer.

Avant d’aller plus loin, il est nécessaire que je vous fasse connaître le valet que l’ami de Blaise s’était chargé d’amuser, tandis que Jean fouillerait dans le sac du religieux. Vous saurez d’abord que son nom était analogue à sa personne. On l’appelait Gucchio Balena, comme qui dirait gros animal ; plusieurs le désignaient par le nom de Gucchio Lourdaud ; d’autres ne le nommaient jamais que Gucchio Cochon. Il avait la figure si grotesque que le peintre Lipotopo, qui a fait tant de caricatures, n’en imagina jamais de plus singulière ni de plus bizarre. Quant à la lame, elle répondait parfaitement au fourreau : son esprit était aussi épais que son corps. Frère Oignon, qui se plaisait souvent à égayer ses amis des sottises de ce valet, avait accoutumé de dire qu’il lui connaissait neuf défauts si considérables, qu’un seul aurait suffi pour éclipser ou ternir toutes les qualités, toutes les vertus qu’on a vues briller dans Salomon, Aristote, Sénèque, si ces grands hommes en eussent été atteints. Représentez-vous d’après cela quel homme ce devait être que ce garçon. Quand on demandait à frère Oignon quels étaient les neuf défauts qu’il trouvait en lui, il répondait par ces trois mauvais vers de sa façon :

Il est paresseux, gourmand et menteur,

Ivrogne, médisant, voleur,

Sans esprit, raison ni valeur.

« Outre ces vices, il en a plusieurs autres que je ne dis pas, ajoutait le moine. Ce qu’il y a de plus plaisant, c’est qu’il veut se marier partout où il se trouve, et louer une maison pour y établir un ménage complet : parce qu’il a la barbe noire, forte et assez bien fournie, il se croit beau garçon, et s’imagine que toutes