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NOUVELLE X

LE FRÈRE QUÊTEUR OU LE CHARLATANISME DES MOINES

Certalde, comme vous pouvez l’avoir ouï dire, est un village de la vallée d’Else, dépendante de l’État de Toscane. Quoique ce village soit aujourd’hui fort peu considérable, il n’a pas laissé d’être autrefois habité par un grand nombre de gentilshommes et de gens aisés. Un religieux de Saint-Antoine, nommé frère Oignon, et conventuel de Florence, avait coutume d’y aller tous les ans une fois, pour y recueillir les aumônes des sots et des imbéciles. Il s’y rendait d’autant plus volontiers, qu’il trouvait la quête abondante, et qu’il y était bien reçu, moins pour l’estime qu’on faisait de sa personne, qu’à cause peut-être du nom qu’il portait, parce que le terroir de ce canton produit les meilleurs oignons de toute la Toscane. Ce frère Oignon, d’une petite taille, au visage enluminé, au poil roux, avait l’humeur fort enjouée, et quelquefois un peu gaillarde. Il était, dans le fond, fort ignorant ; mais il parlait si bien et si facilement, que qui ne l’aurait pas connu de près, l’aurait pris pour un grand orateur, pour ne pas dire pour un Cicéron on pour un Quintilien : aussi était-il aimé et bien reçu de tous les gens du pays.

Étant donc allé à Certalde, selon sa coutume, au mois d’août, un dimanche matin, vers l’heure que le peuple des environs venait à la messe de la paroisse, il s’avança proche la porte de l’église, et parla en ces termes aux hommes et femmes qui y étaient assemblés : « Vous savez, messieurs et dames, que vous êtes dans l’usage de donner tous les ans aux pauvres religieux de Saint-Antoine, de vos blés et de vos revenus, les uns peu, les autres beaucoup, chacun selon ses facultés et sa dévotion, afin que le bienheureux saint Antoine ait soin de votre bétail ; vous avez même accoutumé de faire chaque année du bien à ceux qui sont affiliés à notre congrégation. Je viens donc ici, par l’ordre de mon supérieur, recueillir les effets de votre charité ordinaire : ainsi donc, par la grâce de Dieu, vous êtes avertis de vous rendre ici cette après-midi, aussitôt que vous entendrez le son des cloches ; je vous prêcherai et ferai baiser la sainte croix, selon la manière accoutumée, dans ce même endroit, devant la porte de l’église ; et parce que je vous connais très-dévots à monsieur le baron saint Antoine, mon patron, je vous montrerai, par grâce spéciale, une très-belle et très-sainte relique que j’ai jadis apportée moi-même de la terre sainte. C’est une des plumes