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tombeaux, qu’il proposa à ses compagnons d’aller l’agacer. Ils piquent des deux comme s’ils eussent voulu l’assaillir, et sont presque sur lui avant qu’il ait eu le temps de les voir. « Pourquoi refuses-tu, Guido, lui dirent-ils en l’abordant, d’entrer dans notre coterie ? Crois-tu pouvoir trouver des raisons suffisantes pour anéantir l’existence de Dieu, et quand tu y réussirais, en seras-tu plus avancé ? » Guido se voyant surpris et enveloppé : « Je suis chez vous, messieurs, leur dit-il ; vous pouvez violer les droits de l’hospitalité, et me faire tout ce qu’il vous plaira. » Comme il était fort agile, il s’appuie aussitôt d’une main sur un de ces tombeaux assez élevé, et prenant son élan, il se jette d’un saut de l’autre côté, et se retire tranquillement.

Les cavaliers se regardant l’un l’autre un peu surpris du saut qu’ils avaient vu faire, s’écrièrent : « Est-ce donc là l’homme dont on vante tant l’esprit et le savoir ? Et où est la justesse de sa réponse ? Il est chez nous, dit-il : le lieu où il est ne nous appartient pas plus qu’à lui et qu’aux autres citoyens ; il est commun à tout le monde. Il faut sans doute qu’il ait perdu l’esprit. — C’est vous qui l’avez perdu, dit alors messire Brette, si vous ne comprenez pas ce qu’il vient de dire. Il nous a dit honnêtement et en peu de mots l’injure du monde la plus piquante. Ces tombeaux, si vous y faites attention, sont les maisons des morts ; et quand il dit que c’est notre maison, il veut nous faire entendre que nous et les autres ignorants sommes semblables aux morts, en comparaison de lui et des autres savants. Il a donc pu dire à cet égard qu’il était chez nous. »

Chacun comprit alors le sens des paroles de Guido, et chacun en eut un peu de confusion. Aucun d’eux n’eut jamais plus envie de l’agacer, et Brette passa toujours dans leur esprit pour un homme doué d’un bon entendement.