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NOUVELLE IX

LE PHILOSOPHE ÉPICURIEN

Il y avait autrefois à Florence plusieurs belles et louables coutumes, que l’ambition et l’amour des richesses en ont entièrement bannies. Par une de ces coutumes, entre autres, il y avait dans chaque quartier une coterie composée de personnes choisies. Chaque membre de cette société donnait à son tour un repas à ses camarades, où il était permis d’inviter des étrangers de mérite, quand il s’en trouvait dans la ville. Tous ceux de la coterie s’habillaient, au moins une fois l’an, d’une manière uniforme ; et les plus nobles et les plus riches se promenaient ensemble à cheval dans les rues, et donnaient quelquefois des tournois ou d’autres spectacles analogues aux exercices militaires.

Parmi ces différentes coteries, on distinguait celle de messire Brette Brunelesqui, dans laquelle il avait voulu attirer un jeune homme nommé Guido, fils de messire Cavalcanti. Il n’oublia rien pour faire cette bonne acquisition, parce qu’il connaissait tout le mérite de ce jeune homme, qui, à beaucoup d’esprit, joignait l’amour des sciences et de la philosophie. Mais ce n’était pas là ce qui le faisait le plus rechercher de messire Brette et des autres personnes de la coterie. Guido était naturellement fort enjoué, beau parleur, extrêmement honnête, habile à toutes sortes d’exercices, faisant toutes choses avec beaucoup plus de grâce et de facilité que les autres, fort riche, et l’homme du monde qui savait le mieux distinguer le mérite et lui rendre hommage. Tout ce qu’on fit pour l’engager d’entrer dans cette coterie n’ayant pas réussi, Brette et ses compagnons s’imaginèrent que l’amour de la philosophie lui faisait préférer la solitude à la société. Comme il passait pour avoir beaucoup d’estime pour Épicure, et pour tenir un peu au sentiment de ce philosophe, ceux qui n’étaient pas d’humeur à lui rendre justice disaient qu’il n’étudiait que pour se convaincre qu’il n’y a point de Dieu.

Ce jeune philosophe, revenant un jour de l’église de Saint-Michel d’Orte, passa par le cours des Adimari, et aboutit à l’église de Saint-Jean, qui était pour lors environnée de ces tombeaux de marbre qu’on voit aujourd’hui à Sainte-Réparée. Il s’arrêta devant ces mausolées, et lisait diverses épitaphes, lorsqu’il fut aperçu par messire Brette, qui traversait à cheval, avec sa compagnie, la place de Sainte-Réparée. Brette ne l’eut pas plutôt vu, au milieu de ces