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NOUVELLE VIII

LA MIGNARDE RIDICULE

Fresco de Chelatico avait une nièce à laquelle on avait donné, par mignardise, le nom de Fanchonnette. Elle était jolie, bien faite, et avait un air assez noble ; mais ce n’était pourtant pas de ces jolies femmes qu’on revoit toujours avec un nouveau plaisir : au contraire, son orgueil et sa fierté la rendaient souvent insupportable. Elle se donnait même les airs de dédaigner les hommes, de mépriser les femmes, de ne trouver rien d’aimable dans les autres, sans considérer qu’elle avait plus de défauts que personne. Impertinente, inquiète, capricieuse, on ne faisait jamais rien qui fût à son gré. Avec un esprit contrariant au suprême degré, et beaucoup d’autres défauts, elle ne laissait pas de s’estimer autant et plus que si elle eût été une princesse du sang royal de France. Quand elle sortait, tout l’infectait, et elle avait presque toujours le mouchoir au nez : en un mot, c’était une précieuse ridicule dans toutes les règles. Un jour, étant sortie et rentrée dans le même quart d’heure, et poussant mille petites exclamations de dédain, qu’elle accompagnait d’autant de grimaces affectées, elle alla s’asseoir auprès de son oncle. « D’où vient donc, Fanchonnette, lui dit-il, qu’aujourd’hui, jour de fête, vous voilà sitôt de retour ? — Je n’ai rien vu qui me plaise, mon oncle, répondit-elle d’un air mignard. Je n’aurais jamais cru qu’il y eût en cette ville autant d’hommes si mal bâtis et autant de femmes si maussades que j’en ai rencontré aujourd’hui. Tout ce qui s’est offert à ma vue m’a paru vilain et dégoûtant ; et comme il n’y a personne au monde à qui les objets désagréables donnent plus d’ennui qu’à moi, je suis rentrée pour ne les point voir. » Fresco, qui ne pouvait plus souffrir les affectations de sa nièce, lui dit d’un air sérieux : « Puisque les personnes désagréables te déplaisent si fort, le moyen, ma fille, de t’épargner ce chagrin, est de ne te regarder jamais au miroir. » Cette demoiselle, dont l’ignorance et la bêtise égalaient la vanité, et qui néanmoins croyait en savoir autant que Salomon, ne comprit point ce que voulait dire son oncle, et elle lui répondit qu’elle voulait se mirer comme les autres ; et elle demeura bête et mignarde toute sa vie.