Page:Boccace - Contes de Boccace, trad De Castres, 1869.djvu/385

Cette page n’a pas encore été corrigée


NOUVELLE VII

LA FEMME ADULTÈRE, OU LA LOI RÉFORMÉE

Dans la ville de Prato, il y avait autrefois contre les femmes une loi bien rigoureuse, pour ne pas dire injuste et cruelle. Par cette loi, celles qui étaient surprises par leurs maris en adultère devaient être brûlées vivantes sans miséricorde. Il n’y avait pas longtemps que cette dure loi avait été publiée, lorsqu’une dame, nommée Philippe, jeune, jolie, de complexion fort amoureuse, fut surprise une nuit dans sa chambre, par Renaut de Bugliési, son mari, entre les bras d’un jeune et beau gentilhomme de la même ville, nommé Lazarin Quassaglioti, qu’elle aimait plus que sa propre vie. Le mari, justement indigné d’un tel affront, eut toutes les peines du monde à retenir son ressentiment, qui le poussait à les tuer l’un et l’autre ; mais la crainte qu’il eut pour sa propre vie l’empêcha de tenter l’aventure. Il crut d’ailleurs qu’il serait assez vengé par la mort de l’infidèle ; et comme il avait autant de preuves qu’il lui en fallait pour constater le délit, il alla, dès la pointe du jour, sans prendre conseil de personne, l’accuser devant le juge, et la fit assigner. Les parents et les amis de la dame, qui la regardaient déjà comme une femme perdue sans ressource, lui conseillèrent de ne pas comparaître et de prendre la fuite : mais comme elle avait l’âme grande et courageuse, ainsi que l’ont ordinairement les personnes qui savent bien aimer, elle préféra de mourir en héroïne, après avoir confessé la vérité, plutôt que de vivre honteusement en exil, et de faire voir par cette fuite qu’elle était indigne d’un amant aussi aimable que celui avec lequel elle avait été surprise. Elle parut donc devant le juge, accompagnée d’un grand nombre de personnes de l’un et de l’autre sexe, qui l’exhortaient à nier le fait, et lui demanda avec un visage serein et d’un ton ferme ce qu’il voulait d’elle. Le juge, la voyant jeune et belle, et jugeant par sa fermeté qu’elle n’avait pas moins de grandeur d’âme que d’agrément et de beauté, commença à s’intéresser à son sort, à craindre qu’elle n’avouât le fait, et qu’en conséquence il ne fût obligé de la condamner à mort. Ne pouvant toutefois différer l’interrogatoire, il lui dit en avocat plutôt qu’en juge : « Votre mari, madame, que vous voyez ici présent, se plaint de vous, et dit qu’il vous a surprise en adultère. Il demande que vous soyez punie selon la loi ; mais je ne puis vous condamner, si vous ne confessez vous-même le crime. Voyez maintenant ce que