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Après avoir entendu Neri, il se tourne vers son adversaire, et lui demande comment il prouvera ce qu’il avance. « Je le prouverai si bien, que vous serez forcé d’avouer, vous et les autres, que j’ai raison. » Puis il ajouta : « Plus une famille est ancienne, plus elle est noble de l’aveu de ces messieurs : or, la famille des Baronchi est la plus ancienne de Florence ; donc elle est la plus noble de toutes. Il ne me reste donc, pour gagner la gageure, qu’à prouver l’ancienneté des Baronchi. Voici ma preuve. Tous les hommes sont l’ouvrage de Notre-Seigneur. On voit évidemment qu’il a fait les Baronchi lorsqu’il n’était encore qu’apprenti peintre, et qu’il n’a fait les autres hommes qu’après qu’il est devenu maître dans l’art de la peinture. Pour vous en convaincre, comparez les Baronchi aux autres hommes : vous trouverez de la justesse, de la proportion, de la régularité dans les traits de ceux-ci ; tandis que ceux-là ne vous paraîtront qu’ébauchés. Et véritablement, l’un a le visage long et étroit, l’autre démesurément large : celui-ci est camus, celui-là a un nez d’un pied de long : l’un a le menton long et crochu, une mâchoire d’âne ; l’autre l’a court et plat, et sa figure ressemble au minois d’un singe. Il en est dans cette famille qui ont un œil plus gros ou plus bas que l’autre ; enfin les visages de ces messieurs ressemblent à ceux que font des enfants qui commencent à dessiner. Il est donc clair que Notre-Seigneur n’était pas grand peintre quand il les fit ; d’où vous devez nécessairement conclure qu’ils sont plus anciens, et par conséquent plus nobles que les autres hommes. »

Pierre le juge, Neri le parieur, et tous les autres, se rappelant que les Baronchi étaient tels qu’on venait de les dépeindre, rirent aux éclats d’un si plaisant argument et convinrent d’une voix unanime que Scalse avait gagné. On ne se lassait point de crier, en se retirant : « Il a raison ! il a raison, les Baronchi sont les plus anciens et les plus nobles de Florence ! »