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mais Conrard, ne voulant pas faire plus grand bruit à cause des étrangers qu’il avait à sa table, se contenta de répondre au lourdaud : « Puisque tu te fais fort, coquin, de me montrer ce que je n’ai jamais vu ni entendu dire, nous verrons demain si tu tiendras ta parole ; mais, parbleu, si tu ne le fais pas, je t’assure que tu te souviendras longtemps de ta bêtise et de ton opiniâtreté ; qu’il n’en soit à présent plus question : retire-toi. »

Le lendemain, messire Conrard, que le sommeil n’avait point calmé, se leva à la pointe du jour, le cœur plein de ressentiment contre son cuisinier. Il monte à cheval, le fait monter sur un autre pour qu’il le suive, et va vers un ruisseau, sur le bord duquel on voyait toujours des grues au lever de l’aurore. « Nous verrons, lui disait-il en chemin, de temps en temps, d’un ton de dépit, nous verrons lequel de nous a raison. » Le Vénitien, voyant que son maître n’était pas revenu des premiers mouvements de sa colère, et qu’il allait se trouver confondu, ne savait comment faire pour se disculper. Il aurait volontiers pris la fuite s’il eût osé, tant il était épouvanté des menaces du gentilhomme. Mais le moyen, n’étant pas le mieux monté ? Il regardait donc de tous côtés, croyant que tous les objets qu’il apercevait étaient autant de grues qui se soutenaient sur deux pieds. Arrivés assez près du ruisseau, il fut le premier à en voir une douzaine, toutes appuyées sur un pied, comme elles font ordinairement quand