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de terre de Boulogne également fort propre, plein de son excellent vin, et deux verres bien rincés et extrêmement clairs. Là, en veste et en tablier de toile fort blanche et toujours propre, assis sur un petit banc, après avoir toussé et craché avec mesure, il buvait, au moment qu’il les voyait venir, ses deux verres de vin avec une délectation qui faisait envie. Messire Geri, ayant vu ce manège deux jours de suite, lui dit à la troisième fois : « Eh bien, Ciste, est-il bon ? — Excellent, monsieur, répondit le boulanger en se levant ; mais le moyen de vous le persuader, si vous n’en goûtez vous-même ? » Messire Geri, soit à cause du grand chaud, soit qu’il eût couru plus qu’à l’ordinaire, soit enfin que le plaisir avec lequel il voyait boire le boulanger lui donnât envie d’en faire autant, se tourne alors vers les ambassadeurs, et leur dit en souriant : « Je suis d’avis, messieurs, que nous goûtions le vin de cet honnête homme ; peut-être ne nous en repentirons-nous pas. » Ils s’approchent aussitôt de Ciste, qui les conduit dans son arrière-boutique, et les prie de s’asseoir. Il fait retirer leurs domestiques, qui s’avançaient pour servir leurs maîtres, en leur disant qu’il était aussi bon échanson que bon boulanger ; et après avoir rincé quatre petits verres, il verse lui-même à boire à Geri et aux ambassadeurs, qui furent si contents de son vin, qu’ils avouèrent que depuis longtemps ils n’en avaient bu d’aussi bon, et lui promirent de revenir en boire tous les jours ; ce qu’ils firent très-exactement.

Quand les ministres du pape eurent terminé leurs négociations, et qu’ils se disposaient à s’en retourner à Borne, messire Geri leur donna un repas splendide, où il invita la plupart des notables de Florence. Ciste y fut pareillement invité ; mais il refusa constamment de s’y rendre. Geri, voyant cela, envoya lui demander un flacon de son bon vin, afin d’en donner un demi-verre à chaque convive au commencement du repas. Le domestique qui avait été le chercher, fâché de ce qu’il n’en était pas resté pour lui, s’avisa, en retournant chez le boulanger, de se munir d’une grande bouteille, le priant de la remplir. À la vue de ce grand flacon, Ciste lui dit : « Tu te trompes, mon ami, ce n’est certainement point ici que ton maître t’envoie. » Le valet eut beau lui protester qu’il ne se trompait pas, il n’en put tirer d’autre réponse, et retourna vers son maître, à qui il rapporta ce que Ciste lui avait répondu. « Retourne chez lui, dit Geri ; s’il te fait la même réponse, demande-lui où est-ce qu’il pense que je t’envoie. » Le domestique obéit, et dit à Ciste : « Soyez assuré que c’est ici que mon maître m’envoie. — Cela n’est pas possible, répondit le boulanger, tu te trompes assurément. — Où m’envoie-t-il donc, s’il vous plaît ? reprit le domestique. — À la rivière d’Arno, » répliqua Ciste. Sur le rapport de l’émissaire, messire Geri voulut voir le flacon ; et le trouvant d’une grandeur démesurée : « Ciste a raison, » s’écria-t-il ; et après avoir fait de vifs reproches à son valet, il lui ordonna de prendre un vaisseau raisonnable, et d’y retourner. Ciste, ne