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porter une épée au côté. Il s’embrouille, il se répète, il se reprend, il veut recommencer, il s’embarrasse de nouveau, confond les noms ; en un mot, il ne sait ni ce qu’il dit, ni ce qu’il doit dire. Madame Horette, qui à travers ce galimatias comprit que le fait dont il s’agissait était intéressant, souffrait cruellement de le voir estropié de la plus étrange manière. Elle patienta quelque temps ; mais, voyant enfin que le conteur s’embarrassait de plus en plus, et désespérant de le voir sortir du désordre où il s’était jeté, elle ne put se contenir, et prit le parti de lui dire brusquement : « Je vous prie, monsieur, de vouloir bien me laisser descendre ; votre cheval est trop rude pour moi. » Le cavalier, qui ne manquait pas d’intelligence, quoiqu’il sût mal raconter, comprit fort bien ce que cela voulait dire : il laissa là l’histoire qu’il avait si mal commencée et plus mal continuée, parla d’autres choses, et finit par amuser la dame qu’il avait d’abord si fort ennuyée.


NOUVELLE II

LE BOULANGER

Le pape Boniface, ayant quelques affaires à démêler avec la république de Florence, y envoya des ambassadeurs. Ils allèrent loger chez messire Geri Spina, qui jouissait d’un grand crédit auprès du souverain pontife. Geri fit de son mieux pour leur rendre le séjour de Florence agréable, et les accompagnait partout. Ils passaient presque tous les matins dans la rue de Notre-Dame d’Ughi, où demeurait un célèbre boulanger, nommé Ciste. Quoique cet homme eût amassé beaucoup de bien à faire du pain, et qu’il eût des sentiments bien supérieurs à sa profession, il ne voulut jamais la quitter. Il ne laissait pas de vivre dans la plus grande aisance, d’avoir bonne table, et la cave garnie des meilleurs vins qu’on recueillît dans la Toscane et ses environs. Comme il voyait passer chaque jour devant sa boutique messire Geri et les ambassadeurs de Sa Sainteté à des heures où la grande chaleur commençait à se faire sentir, il crut qu’il serait très-honnête à lui de les inviter à boire de son bon vin ; mais comme il connaissait la distance qu’il y avait entre les ministres d’un grand souverain et un boulanger, il craignit de leur en faire la proposition. Il pensa donc à trouver un moyen pour les engager à s’inviter eux-mêmes. Dans cette idée, à l’heure à peu près qu’il croyait que Geri et les ambassadeurs passeraient, il se fait apporter devant sa porte un seau fort propre, plein d’eau fraîche, un petit vaisseau