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voudrais que le diable nous emportât toutes ! J’en suis très-persuadée, et cela ne m’étonne aucunement, puisque tu abhorres notre sexe ; mais, grâce à Dieu, il n’en sera rien. J’ajoute, puisqu’il faut enfin s’expliquer, que tes imprécations ne m’effrayent point. Au bout du compte, peux-tu raisonnablement te plaindre de ma conduite ? Il y a bien de la différence entre la femme d’Hercolan et la tienne : celle-là est une bigote, une hypocrite, une véritable mégère, à qui son mari ne laisse pas d’accorder tout ce qu’elle lui demande : elle ne jeûne de rien, toute vieille qu’elle est. Il en est le contraire de moi. Je conviendrai sans peine qu’en fait de vêtements et de parures tu me laisses peu de chose à désirer ; mais ne faut-il que cela à une femme de mon âge ? Tu sais combien il y a de temps que tu ne m’as fait la moindre caresse… J’aimerais mieux aller pieds nus et mal vêtue, pourvu que tu fisses bien le service conjugal, que d’être la mieux parée de toute la ville. Écoute, Pierre, puisqu’il faut te parler sincèrement, je veux bien que tu saches une bonne fois que je suis femme comme les autres ; ce qu’elles désirent, je le désire aussi ; comme elles j’ai des passions, et je dois, comme elles, chercher à les satisfaire. Si tu t’y refuses, peux-tu trouver mauvais que j’aie recours à d’autres ? Au moins te fais-je honneur dans mes goûts, puisque je ne m’abandonne, comme tant d’autres, ni à des valets, ni à des malotrus. Tu ne saurais nier que le galant que j’ai choisi ne soit un joli garçon. »

Le mari, qui, comme je l’ai déjà fait entendre, n’estimait guère les femmes, et qui commençait à se lasser du clabaudage de la sienne, l’interrompit en lui disant : « Allons, ma femme, n’en parlons plus, tu auras lieu d’être contente de moi sur tout ceci ; tu sais que je suis bon diable ; ainsi plus de reproches de part ni d’autre. Tout ce que je demande, c’est à souper ; car je crois que ce beau jeune homme n’a pas fait meilleure chère que moi. — Cela est très-vrai, répliqua la commère, nous ne faisions que nous mettre à table lorsque, malheureusement pour nous, vous avez frappé à la porte. — Dépêche-toi donc, reprit Vinciolo, donne-nous à souper ; j’arrangerai ensuite les choses de manière que tu n’auras pas à te plaindre. » La bonne dame, voyant son mari apaisé, fit aussitôt remettre la nappe, et servir les mets qu’elle avait fait apprêter, et soupa tranquillement avec l’infâme cocu et le jeune galant. De vous apprendre ce qui se passa, après le repas, entre ces trois personnages, c’est ce que je ne saurais faire. Je vous dirai seulement que le lendemain les nouvellistes de la place de Pérouse étaient fort embarrassés de décider lequel du mari ou de la femme ou du galant avait passé la nuit d’une manière plus agréable.