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sous la cage, elle dit à son mari qu’il était temps d’aller se coucher. Le mari, qui avait plus envie de manger que de dormir, lui demanda s’il n’était rien resté de son souper. « De mon souper ! répondit-elle : vraiment, nous avons coutume de faire grande chère quand tu n’y es pas ! Tu me prends, je crois, pour la femme d’Hercolan… Va te coucher, te dis-je, tu mangeras demain de meilleur appétit. »

Ce soir-là même, les fermiers de Vinciolo lui avaient apporté des denrées d’une de ses métairies, et avaient mis leurs ânes, sans les abreuver, dans une petite écurie qui joignait la galerie où le galant était en cage. Il arriva qu’un de ces ânes, pressé par la soif, se détacha et sortit de l’écurie, flairant par-ci par-là pour trouver de l’eau. Courant ainsi de côté et d’autre, il passa près de la cage sous laquelle était le jeune amoureux, et lui marcha sur les doigts qui débordaient un peu ; car le pauvre diable avait été forcé, par la forme de la cage, de se tenir courbé sur le ventre, et de coller ses mains contre terre pour se soutenir avec moins de fatigue. La douleur qu’il sentit lui fit pousser un grand cri. Vinciolo l’entendit, et fut fort étonné, voyant qu’il ne pouvait venir d’ailleurs que de chez lui. Il sort de la chambre ; et comme le galant continuait de se plaindre, parce que l’âne avait toujours les pieds sur ses doigts, il crie : « Qui est là ? » et court droit à la cage. Il la lève, et trouve l’oiseau, qui tremblait de tous ses membres, dans la crainte que le mari irrité ne lui fit mal passer son temps. Mais Vinciolo, l’ayant reconnu pour lui avoir fait longtemps et inutilement sa cour, se borna à lui demander ce qu’il venait faire dans sa maison. Il n’en eut pour toute réponse sinon qu’il le suppliait de ne lui faire aucun mal. « Lève-toi, lui dit-il alors, et ne crains rien ; mais à condition que tu me diras comment et pourquoi tu es venu ici ; » ce que le jeune homme fit incontinent. Le mari, aussi joyeux d’avoir trouvé l’Adonis, que sa femme en était triste et affligée, le prit par la main et le mena à son infidèle, qui était dans une crainte et un saisissement qu’il n’est pas possible d’exprimer. « Eh bien, ma chère femme, lui dit-il en l’abordant, comment justifierez-vous ce trait-ci ? Êtes-vous d’avis, à présent, qu’on brûle toutes les femmes de la trempe de celle d’Hercolan ? Fallait-il déclamer avec tant de vivacité contre elle, quand vous étiez aussi coupable ? Faites-vous plus d’honneur à votre sexe ? Vous ne l’avez blâmée avec tant de hauteur que pour mieux cacher votre jeu. Voilà comme vous êtes faites, vous autres femmes ; vous ne valez pas mieux les unes que les autres. Je voudrais que le diable vous emportât toutes tant que vous êtes. »

La belle, voyant que de prime abord il ne l’avait maltraitée que de paroles, et jugeant qu’elle en serait quitte à meilleur marché qu’elle n’avait cru, ne douta point que son mari ne fût bien aise de tenir dans ses filets un aussi beau garçon. Cette idée la ranima un peu, et elle lui répondit sans être émue : « Tu