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pour héritier et en exige les honneurs. Refus de part et d’autre. Alors chacun de son côté produit son titre ; mais les anneaux se trouvent si ressemblants, qu’il n’y a pas moyen de distinguer quel est le véritable. Procès pour la succession ; mais ce procès, si difficile à juger, demeura pendant et pend encore.

« Il en est de même, seigneur, des lois que Dieu a données aux trois peuples sur lesquels vous m’avez fait l’honneur de m’interroger : chacun croit être l’héritier de Dieu, chacun croit posséder sa véritable loi et observer ses vrais commandements. Savoir lequel des trois est le mieux fondé dans ses prétentions, c’est ce qui est encore indécis ; et ce qui, selon toute apparence, le sera longtemps. »

Saladin vit, par cette réponse, que le juif s’était habilement tiré du piége qu’il lui avait tendu. Il comprit qu’il essayerait vainement de lui en tendre de nouveaux. Il n’eut donc d’autre ressource que de s’ouvrir à lui ; ce qu’il fit sans détour. Il lui exposa le besoin d’argent où il se trouvait, et lui demanda s’il voulait lui en prêter. Il lui apprit en même temps ce qu’il avait résolu de faire dans le cas que sa réponse eût été moins sage. Le juif, piqué de générosité, lui prêta tout ce qu’il voulut ; et le soudan, sensible à ce procédé, se montra très-reconnaissant. Il ne se contenta pas de rembourser le juif, il le combla encore de présents, le retint auprès de sa personne, le traita avec beaucoup de distinction et l’honora toujours de son amitié.


NOUVELLE IV

LA PUNITION ESQUIVÉE

Dans le pays de Lunigiane, qui n’est pas fort éloigné du nôtre, se trouve un monastère dont les religieux étaient autrefois un exemple de dévotion et de sainteté. Vers le temps qu’ils commençaient à dégénérer, il y avait parmi eux un jeune moine, entre autres, dans qui les veilles et les austérités ne pouvaient réprimer l’aiguillon de la chair. Étant un jour sorti sur l’heure de midi, c’est-à-dire pendant que les autres moines faisaient leur méridienne, et se promenant seul autour de l’église, située dans un lieu solitaire, le hasard lui fit apercevoir la fille de quelque laboureur du canton, occupée à cueillir des herbes dans les champs. La rencontre de cette fille assez jolie et d’une taille charmante fit sur lui la plus vive impression. Il l’aborde, lie conversation avec elle, lui conte des douceurs, et s’y prend tellement bien, qu’ils sont bientôt d’accord. Il la mène dans le couvent et l’introduit dans sa cellule sans être aperçu de personne.