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cet heureux âge sera passé. Il m’en donne lui-même l’exemple. Mon infidélité sera moins criminelle que la sienne : je ne blesserai que les lois de convention, au lieu que lui blesse eu même temps ces lois et celles de la nature. »

La tête remplie de ces louables idées, elle ne songea qu’aux moyens d’exécuter son projet, en tâchant néanmoins de ne pas se compromettre dans l’esprit de son mari. Elle s’adressa, pour cet effet, à une vieille entremetteuse, qu’on aurait prise pour une sainte, à n’en juger que par l’extérieur. Cette femme avait toujours le chapelet au poing, et passait la plus grande partie du temps dans les églises ; elle n’ouvrait la bouche que pour bénir le Seigneur, louer la vie des saints, ou parler des plaies de saint François ; en un mot, on l’aurait canonisée sur sa mine. La belle prit son temps pour s’ouvrir à cette bonne hypocrite : elle lui conta son cas, et ce qu’elle se proposait d’exécuter. « Ma fille, répondit la vieille béate, j’approuve votre dessein ; et quand votre mari serait moins coupable, vous feriez très-bien de mettre à profit les instants précieux de votre jeunesse. Pour toute femme qui a du jugement, il n’est point de regret plus cuisant que celui d’avoir perdu le fruit de ses belles années. »

Il tardait à la jeune femme qu’elle eût achevé de parler, pour lui dire que si elle venait à rencontrer un jeune homme qui passait fréquemment dans son quartier, et dont elle lui fit le portrait, elle tâchât de l’aborder pour savoir s’il serait homme à profiter d’une bonne fortune. Après cette instruction, elle lui donna un morceau de viande salée, et la congédia.

La bonne vieille sut si bien s’y prendre, qu’elle ne tarda point à lui amener le jeune homme. Quelques jours après, elle lui en procura un second, puis un troisième, puis d’autres encore, selon la fantaisie de la jeune dame, qui, à ce qu’on voit, aimait le changement. Elle ne laissait pas de prendre des mesures pour dérober son nouveau genre de vie à la connaissance de son mari, quelques torts qu’il eût envers elle.

Comme elle était de bon appétit, elle multipliait et prolongeait tant qu’elle pouvait les visites des galants, afin de mettre le temps à profit, selon le bon conseil de la vieille entremetteuse. Un jour que son mari fut invité à souper chez un de ses amis, nommé Hercolan, elle crut devoir profiter de l’occasion pour engager la vieille à lui amener un jeune homme des plus beaux et des mieux faits de Pérouse ; ce que celle-ci fit incontinent. La dame et le nouveau galant se sont à peine mis à table pour souper, que Vinciolo frappe à la porte, et crie qu’on lui ouvre. La belle, entendant la voix de son mari qu’elle n’attendait pas sitôt, se crut perdue. Elle se met néanmoins en devoir de cacher l’amoureux, qui ne savait trop non plus que devenir. Soit qu’elle n’eût pas le temps de le cacher mieux, soit que la surprise l’empêchât de raisonner, elle le fit mettre dans une espèce de galerie attenante à la salle où ils soupaient, sous une cage à poules, qu’elle couvrit d’un sac qu’elle avait fait ce jour-là. Pendant