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NOUVELLE X

LE COCU CONSOLÉ

Il n’y a pas longtemps qu’à Pérouse vivait un homme fort riche, nommé Pierre Vinciolo, fort connu pour aimer les plaisirs, mais soupçonné d’indifférence pour ceux que les femmes procurent. Afin de détruire dans l’esprit de ses compatriotes ces soupçons qui n’étaient que trop fondés, il prit le parti de se marier, et épousa une demoiselle bien propre à le ramener dans le bon chemin. Elle était jeune, grande, robuste, les yeux vifs, le poil ardent, d’une complexion, en un mot, qui eût demandé deux maris au lieu d’un. Malheureusement pour elle, celui qu’elle venait d’épouser n’était rien moins que disposé à bien remplir les devoirs naturels du mariage ; son goût et son penchant l’éloignaient des femmes ; de sorte qu’il ne couchait avec la sienne que le moins qu’il pouvait, et seulement pour lui donner le change sur le vice honteux dont il était entiché. Cette conduite ne contentait point la dame, qui était gourmandée par son tempérament. Comme elle ne pouvait soupçonner son mari d’impuissance, puisqu’il était vigoureux et à la fleur de son âge, elle se douta de sa dépravation, et commença à se fâcher. Elle débuta par les reproches, et finit par les injures. C’étaient tous les jours nouveaux débats, nouvelle guerre dans le ménage : enfin, voyant que toutes ces querelles n’aboutissaient qu’à altérer sa santé, sans pouvoir réformer son indigne mari, elle résolut de le punir de son indifférence. « Puisque ce malheureux, dit-elle en elle-même, ne me rend point le devoir auquel il est obligé par le mariage, et qu’il m’abandonne ainsi à la fleur de mon âge pour satisfaire un mauvais penchant, il est juste que je me pourvoie de quelque galant qui me dédommage des plaisirs dont il me prive. Je ne lui ai apporté une bonne dot et ne l’ai accepté pour mari que parce que j’ai cru qu’il était homme, et qu’il aimait ce que les autres aiment et doivent aimer. Il savait que j’étais femme ; il ne devait donc pas me prendre, puisqu’il n’aimait pas mon sexe. Ô l’infâme ! non, je ne lui pardonnerai jamais de m’avoir ainsi trompée. Si j’avais voulu renoncer aux plaisirs du monde, je me serais faite religieuse ; mais puisque je n’y ai point renoncé, pourquoi en serais-je privée ? Dois-je laisser passer ma jeunesse sans jouir de son plus bel apanage ! Quand je serai vieille, on ne voudra plus de moi. Mettons donc le temps du jeune âge à profit, afin de nous épargner des regrets inutiles, quand