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de si grands avantages, que si jamais on m’a reconnu quelque mérite, c’est aux sentiments que vous m’avez inspirés que j’en ai l’obligation. La grâce que vous me faites aujourd’hui m’est si précieuse, et flatte si fort mon cœur, que, quoique je sois pauvre, je ne voudrais pas la changer contre les biens que j’ai perdus. »

Après lui avoir fait ce compliment, il la reçut dans son petit réduit, et la conduisit ensuite dans son jardin. Ne sachant qui lui donner pour lui faire compagnie, il la laissa avec la jardinière et la dame qui l’avait accompagnée, pendant qu’il était allé préparer le dîner. Cet honnête gentilhomme n’avait jamais si bien senti les désagréments de la pauvreté que dans ce moment, où il se trouvait si peu en état de recevoir une personne si chère à son cœur : il aurait voulu la régaler, et il se trouvait ce jour-là dépourvu de tout. Il enrageait de dépit, maudissait sa fortune, et courait çà et là comme un homme qui ne sait où donner de la tête. Le plus fâcheux, c’est qu’il n’avait ni sou ni maille, ni effets sur lesquels il pût emprunter. Cependant l’heure du dîner approchait, et il n’avait encore rien préparé, quoiqu’il en eût eu tout le temps. Il ne savait à quoi se résoudre, lorsque, jetant les yeux sur son faucon, qui se tenait tranquillement perché dans sa loge, il se détermine à en faire le sacrifice, pour avoir du moins quelque chose d’honnête à servir à la charmante veuve qui l’honorait de sa visite. Il le prend donc, lui tord le cou, le plume et le met à la broche. Quand tout fut prêt, il retourna gaiement au jardin, pour engager la dame et sa compagnie