Page:Boccace - Contes de Boccace, trad De Castres, 1869.djvu/362

Cette page n’a pas encore été corrigée

campagne, à une maison qu’elle avait dans le voisinage de celle de Fédéric. À la faveur du voisinage, le petit enfant, qui se plaisait à rôder, eut bientôt fait connaissance avec lui ; il le visitait fréquemment, aimant à s’amuser avec ses chiens et ses oiseaux. Il eut occasion de voir son faucon, dont il avait beaucoup entendu parler. Cet oiseau lui plut tellement, qu’il en eut envie ; mais il n’osait le demander, sachant que Fédéric lui était fort attaché. Le chagrin de ne pouvoir posséder ce qu’il désirait le mina si fort qu’il en tomba malade. Il fit connaître à sa mère la cause de son mal en ces termes : « Ah ! ma chère maman, si vous pouviez me faire avoir le faucon de Fédéric, je sens que je serais bientôt guéri. » La dame fut quelques moments à rêver et à réfléchir sur ce qu’elle devait faire ; elle savait que Fédéric l’avait longtemps aimée ; qu’il s’était ruiné en son honneur, et qu’elle s’était toujours montrée insensible à ses empressements. « Comment, disait-elle en elle-même, comment oser demander ce faucon, qui est, dit-on, le meilleur qu’il soit possible de voir, et qui d’ailleurs fait vivre et subsister son maître ? Serais-je assez peu raisonnable pour vouloir en priver un gentilhomme qui n’a dans ce monde d’autre plaisir que celui-là ? » Ces réflexions la tenaient dans une grande perplexité, quoiqu’elle fût bien certaine d’avoir l’oiseau, si elle le demandait. Ne sachant donc que répondre à son fils, elle garda le silence ; mais l’enfant toujours malade, toujours chagrin, refuse tout ce qu’on lui offre, et dit qu’il veut avoir le faucon. Enfin, l’amour maternel l’emportant sur toute considération : sa mère, résolue de le satisfaire à quelque prix que ce fût, prend le parti de lui dire qu’il aura cet oiseau, et se détermine effectivement d’aller elle-même le demander. « Ne te chagrine plus, lui dit-elle, songe seulement à te rétablir ; je te promets que la première chose que je ferai demain matin sera d’aller chercher le faucon pour te l’apporter. » Cette promesse fit tant de plaisir à l’enfant, que le soir même il se trouva beaucoup mieux. Le lendemain, la dame, accompagnée seulement d’une autre femme, alla, en se promenant, à la petite maison de Fédéric. Lorsqu’elle y arriva, il était par hasard dans son jardin, occupé à le faire arranger, parce que ce jour-là le temps n’était guère propre pour la chasse du faucon. Elle se fait annoncer, disant qu’elle désire de lui parler. On se figure aisément quelle dut être sa surprise, lorsqu’on lui dit le nom de la dame qui le demandait. Transporté de joie, il court au plus vite la recevoir, et la salue très-respectueusement du plus loin qu’il l’aperçoit. Madame Jeanne, de son côté, va au-devant de lui, et le salue de la manière la plus honnête et la plus gracieuse. Après les compliments d’usage : « Seigneur Fédéric, lui dit-elle, je viens ici pour vous récompenser des soins que vous avez perdus, lorsque vous m’aimiez un peu plus que de raison ; et la récompense, c’est que je viens avec madame vous demander à dîner. — Il ne me souvient pas, madame, lui répondit-il avec douceur et modestie, d’avoir fait aucune perte pour vous ; au contraire, vous m’avez procuré