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Paul des Traversaires, sa femme, sa fille, et autant de leurs parents qu’il sera possible, à venir dîner dans ma solitude vendredi prochain. Je vous ferai connaître ce jour-là les raisons qui m’engagent à les attirer chez moi. La chose paraissant facile aux amis d’Anastase, ils lui promirent de lui donner cette satisfaction, et ne furent pas plutôt retournés à la ville qu’ils se mirent en devoir de la lui procurer. La demoiselle seule fit quelque difficulté ; cependant elle se laissa gagner par les autres dames qui devaient être de la partie.

Pendant ce temps-là, Anastase avait fait dresser des tentes dans le bois planté de sapins. La table fut mise précisément vis-à-vis de l’endroit où s’était passée la scène effrayante dont il avait été témoin. Il plaça les convives de manière que sa maîtresse se trouvât la plus à portée de voir ce spectacle. Le repas fut des plus magnifiques et des plus somptueux. Il était déjà fort avancé, lorsqu’on entend des cris plaintifs poussés par une femme. Tout le monde est étonné, et chacun demande ce que c’est. Les cris redoublent : on se lève, on regarde de tous côtés, et bientôt on aperçoit la jeune fille poursuivie par les chiens et par le cavalier. D’abord grandes menaces de la part des spectateurs contre les chiens, et ensuite contre l’homme qui semblait les exciter ; mais celui-ci, leur ayant parlé comme à Anastase, les fit non-seulement reculer, mais les glaça de surprise et de crainte lorsqu’il renouvela en leur présence ce qui s’était passé le vendredi précédent. Les dames de la compagnie, dont plusieurs étaient parentes, soit du cavalier, soit de la jeune fille, et qui se souvenaient encore de l’amour malheureux et de la triste fin du jeune homme, furent aussi touchées de ce spectacle douloureux que si elles en eussent été le sujet. Mais il n’y en eut point qui le fût autant que la maîtresse d’Anastase : elle avait tout vu et n’avait perdu aucune parole du récit du cavalier. Il lui fut facile de juger que cette aventure l’intéressait plus que toute autre, en se rappelant la dure insensibilité avec laquelle elle avait reçu les soins et les assiduités d’un jeune homme qui l’adorait. Elle en fut si frappée, qu’il lui semblait déjà qu’elle fuyait devant lui, et que les chiens la poursuivaient et lui déchiraient les fesses. Elle passa le reste du jour dans de profondes rêveries, et la nuit dans de cruelles appréhensions : enfin elle ne put recouvrer sa tranquillité qu’après s’être reproché son inhumanité et s’être résolue à passer de la haine à l’amour. Elle ne s’en tint point là. À peine fut-il jour, qu’elle envoya secrètement à Anastase une servante qui avait sa confiance, pour le prier de la venir voir, et l’assurer qu’elle était décidée à le payer du plus tendre retour. Anastase s’étant rendu à l’invitation, la belle lui dit d’un air passionné qu’elle était prête à faire tout ce qui pourrait lui être agréable. Le jeune homme répondit qu’il était enchanté de ses nouveaux sentiments, et que, comme ses intentions avaient toujours été honnêtes, il ne voulait rien d’elle que par la voie du mariage. La demoiselle, qui ne demandait pas mieux, admira sa générosité, et se chargea d’en faire elle-même