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L’amant parla le premier : « Que j’ai d’obligation, dit-il, à cette grêle, et que je serais charmé qu’elle durât, s’il était possible, une éternité, pour être ainsi à côté de vous ! — Je vous avoue que je n’en serais pas non plus fâchée, » répondit la demoiselle. Pierre alors de lui prendre la main, de la lui serrer, de la couvrir de baisers, et la belle de répondre à ses caresses par des caresses encore plus tendres ; ils s’embrassèrent, collèrent leurs bouches brûlantes l’une contre l’autre, et se prodiguèrent tout ce que l’amour a de plus délicieux, pour se consoler du mauvais temps qui durait toujours. Je n’entrerai point dans tous les détails des plaisirs qu’ils goûtèrent dans ce tête-à-tête solitaire ; il me suffit de dire que l’orage ne se dissipa point sans qu’ils eussent joui de tout ce que l’amour peut offrir à deux cœurs également passionnés et d’intelligence, et sans qu’ils eussent pris des mesures pour renouveler dans la suite leurs jouissances. L’orage ayant cessé, ils reprirent le chemin de la ville, attendirent aux barrières le reste de la compagnie, et se rendirent tous ensemble à la maison.

Les deux amants s’étaient trop bien trouvés du jeu de la masure, pour ne pas trouver les occasions de le répéter. Elles se présentèrent plusieurs fois, et ils en profitèrent sans que personne pût s’en douter. Ils y revinrent si souvent, que la demoiselle devint grosse ; ce qui les chagrina beaucoup l’un et l’autre. Violante fit son possible, mais inutilement, pour détruire son fruit, tant elle redoutait les reproches de ses parents. Pierre, non moins affligé de cet accident, voyant qu’il y allait de sa vie, résolut de s’enfuir, et s’en ouvrit à sa maîtresse. « Si tu t’en vas, lui dit-elle, mon parti est pris, je me tue. — Que veux-tu dont que je devienne, ma chère amie ? Ta grossesse va découvrir notre intrigue : on pourra pardonner ta faiblesse ; mais que deviendrai-je, moi qui ne suis qu’un misérable, qu’aucune considération ne peut faire pardonner ? Je ne puis manquer d’être la victime du juste ressentiment de ton père. — Ma faute ne peut demeurer longtemps cachée, j’en conviens ; mais sois assuré, mon cher ami, que si tu es aussi secret que moi, on ne saura jamais que tu y aies jamais eu la moindre part ; tu peux compter là-dessus comme sur mon amour. — À ces conditions, reprit l’amoureux, je demeure ; mais souvenez-vous bien de votre promesse. »

Violante, voyant que sa taille s’arrondissait tous les jours, et qu’il lui était impossible de cacher plus longtemps son état, le découvrit à sa mère, et la supplia, les larmes aux yeux, de la sauver. La mère, au désespoir de ce qu’elle venait d’apprendre, accabla sa fille de reproches et d’injures, et voulut savoir quel était le complice de sa faute. La fille, qui s’était précautionnée pour ne pas compromettre son amant, lui débita un mensonge, qui fut pris pour la vérité ; et, sous quelque prétexte plausible, elles partirent toutes deux pour la campagne. Le terme des couches étant venu, la belle ressentit bientôt les premières douleurs de l’enfantement. Pendant qu’elle était dans les efforts, et