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feu. Dans ce projet, il s’éloigne du lit, s’avance vers la porte, appelle un de ses gentilshommes, et lui demande ce qu’il pense de cette misérable créature, en qui il avait fixé son affection, et s’il connaît le téméraire qui avait osé lui faire un pareil outrage dans son propre palais. Le gentilhomme, sans s’expliquer sur le compte de la belle, lui répondit qu’il ne se souvenait point d’avoir jamais vu cet homme. Le roi sort de la chambre et ordonne que les deux personnages soient liés tout nus, tels qu’ils étaient, et conduits sur-le-champ, dans cet état, à Palerme, pour être attachés dos à dos à un poteau dans la place publique, et subir le supplice du feu. Après cela, il repartit pour Palerme, où il s’enferma dans sa chambre, le cœur plein de dépit.

Il est aisé de se représenter la douleur et la consternation de Restitue et de son amant. Ils furent, suivant l’ordre du roi, conduits à la ville, et attachés à un poteau, autour duquel on éleva le bûcher qui devait les brûler vifs. On se figure les horreurs qu’ils durent éprouver à la vue des apprêts de leur supplice. Tout le peuple de Palerme accourut à ce triste spectacle. La jeunesse et la beauté de la jeune fille, que les hommes regardaient de préférence ; la jolie figure et la douceur du jeune homme, que les femmes s’empressaient d’examiner, excitaient la compassion de tout le monde ; il n’était personne qui ne les jugeât dignes d’une plus heureuse destinée, et qui n’eût voulu les sauver. Mais la pitié publique n’adoucissait pas le sort de ces pauvres victimes de l’amour, qui fondaient en larmes et n’attendaient que le moment de leur mort.

Sur ces entrefaites, Roger Doria, homme célèbre par ses exploits militaires, et pour lors amiral de Sicile, ayant appris l’aventure de ces amants malheureux, eut envie de les aller voir. Il se rend au lieu de leur supplice, et fixe d’abord ses regards sur la fille, qu’il trouve aussi jolie qu’on le lui avait dit. Il envisage ensuite le jeune homme, et est fort étonné de le reconnaître. Il s’approche et lui demande s’il n’est pas Jean de Procida. À cette question, le patient lève la tête, et reconnaissant à son tour l’amiral : « Je l’ai été jusqu’ici, lui répondit-il ; mais il y a grande apparence que je ne le serai bientôt plus. » L’amiral lui demanda encore quel accident l’avait conduit là. « L’amour et la colère du roi, » répondit le jeune homme. Roger Doria voulut connaître tous les détails de son aventure ; et, après les avoir appris de la bouche même du patient, il se retira fort touché du malheur de ces infortunés. Jean de Procida le rappela, et le pria, au nom de Dieu, de demander pour lui une grâce au roi. « Quelle est-elle ? repartit l’amiral, naturellement porté à l’obliger. — Je vois, monsieur, ajouta le jeune homme, que je vais bientôt mourir, et que je serai privé pour toujours de cette aimable personne qui va subir le même sort, et que j’ai aimée plus que ma vie : il me semble que je mourrais avec moins de regret si le roi permettait que mon visage fût tourné vers le sien. — Tu peux être tranquille, lui répondit l’amiral en souriant ; je vais trouver le roi, et peut-être t’obtien-