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dans leur barque ; ils la traitèrent d’abord avec beaucoup d’égards, et tâchaient de la consoler ; mais Restitue pleurait toujours. Arrivés en Calabre, on mit en délibération qui en jouirait. Chacun voulait l’avoir, et en jouir exclusivement, tant on la trouvait jolie et intéressante. Grande contestation de part et d’autre. La jalousie les empêcha de pouvoir jamais s’accorder. Pour ne pas se brouiller entièrement, et éviter quelque malheur, on convint qu’elle ne serait ni aux uns ni aux autres, et qu’on en ferait présent à Frédéric, roi de Sicile, jeune prince qu’on connaissait fort friand de ces sortes de morceaux ; ce qu’ils exécutèrent aussitôt qu’ils furent arrivés à Palerme. Le roi la trouva jolie et fort à son gré, et accepta le présent avec joie. Mais comme il se trouvait alors incommodé, il ordonna qu’on conduisît la belle à une maison de plaisance, nommée la Cuba, avec ordre de la bien traiter, et de la garder soigneusement jusqu’à ce qu’il se portât mieux.

Cependant, l’enlèvement de Restitue se répandit bientôt dans toute l’île d’Ischia ; mais on ne savait point qui avait fait le coup. Jean, son amoureux, à qui il importait plus qu’à tout autre de le découvrir, se donna toute sorte de mouvements pour savoir ce qu’elle était devenue et quels étaient ses ravisseurs. Il fit armer en diligence une frégate et courut toutes les mers des environs, depuis la Minerve jusqu’à la Scalée, en Calabre, et ce fut là qu’il apprit qu’elle avait été donnée au roi, qui la faisait garder à la Cuba. Cette nouvelle l’affligea beaucoup, désespérant de pouvoir jamais la posséder, ni peut-être la revoir. Cependant, résolu d’attendre le dénoûment de sa destinée, il renvoya sa frégate dans le dessein de s’arrêter à Palerme, pour voir comment les choses tourneraient. Comme il n’était connu de personne, il se promena hardiment devant la maison de plaisance ; et à force de passer et repasser, il arriva qu’il aperçut un jour Restitue à la fenêtre. Il s’approcha de plus près, pour se faire voir à sa maîtresse. Elle le vit en effet, et lui en marqua beaucoup de joie. Comme ce lieu était solitaire et peu fréquenté, elle s’approcha le plus qu’il lui fut possible, pour être à portée de lui parler, et se trouva assez près pour l’entendre et en être entendue. Alors la belle, sans perdre le temps en discours inutiles, lui enseigna la manière dont il devait s’y prendre, s’il voulait la voir et l’entretenir de plus près, sans être aperçu. Il examina la situation du lieu qu’elle venait de lui indiquer. Quand la nuit fut venue, et même fort avancée, il y retourna, grimpa sur un mur, entra dans le jardin, et, par le moyen d’une antenne de vaisseau qu’il appuya contre la fenêtre, il s’introduisit dans la chambre de sa maîtresse, qui lui avait désigné cette espèce d’échelle.

Comme elle prévoyait qu’il ne lui serait pas possible de garder longtemps son honneur, qui avait déjà couru de si grands risques, elle se proposa de profiter de la circonstance pour en faire le sacrifice à son amant, persuadée que personne n’en était plus digne, et que cette complaisance pourrait le déterminer