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croix sur l’oreille gauche provenant d’une loupe qu’il lui avait fait couper quelque temps avant la prise de Faënza. Il pria alors Jacomin de lui faire voir cette demoiselle, pour vérifier ce qui en était ; ce qui lui fut accordé sans délai. Aussitôt qu’il la vit, il crut voir le visage de sa femme, tant elle lui ressemblait ! mais voulant quelque chose de plus décisif, il pria Jacomin de lui permettre de regarder près de l’oreille gauche de la fille. Après en avoir obtenu la permission, il s’approche de la demoiselle, lève ses cheveux, voit la croix ; et ne pouvant plus douter que ce ne fût véritablement sa fille, il pleure de tendresse, et l’embrasse tendrement, malgré la petite résistance de la pupille, qui paraissait honteuse de ce qui se passait. Puis, se tournant vers le tuteur : « C’est bien ma propre fille, lui dit-il tout transporté de joie ; oui, ce fut ma maison que pilla Gui de Crémone. Ma femme fut si surprise et si alarmée, qu’elle oublia sa fille ; et nous avons cru jusqu’à présent qu’elle avait péri dans la maison, qui fut brûlée en grande partie après le pillage. »

La demoiselle, entendant ce vénérable vieillard parler de la sorte d’un air vraiment attendri et passionné, ne douta point qu’il ne dît la vérité ; et, courant l’embrasser à son tour, elle mêla ses larmes aux siennes. Bernardino envoya incontinent querir sa femme, ses autres enfants et ses parents. Il leur montra sa fille, et leur raconta tout ce qui s’était passé. Il la mena ensuite dans sa maison, avec le consentement de Jacomin, où elle fut caressée de sa mère, de ses frères et de ses sœurs.