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attaché, et fais tant de cas de votre mérite, que quand je serais dans mon pays, comme je suis dans le vôtre, vous me trouveriez en ceci, comme en toute autre chose, disposé à faire tout ce qui peut vous être agréable. Le sacrifice de mon ressentiment me coûte d’autant moins, que vous êtes vous-mêmes intéressés dans l’insulte qui a été faite à la jeune demoiselle confiée à mes soins. Vous saurez qu’elle n’est native ni de Crémone ni de Pavie, comme vous pouvez l’avoir imaginé ; elle est votre compatriote, née à Faënza même, sans que celui qui me l’a remise en mourant, ni moi, ayons jamais pu découvrir de qui elle est fille. »

Ils furent surpris d’apprendre que cette demoiselle était de Faënza ; et, après avoir remercié Jacomin de son honnêteté, ils le prièrent de leur dire par quelle aventure elle était tombée entre ses mains. « Gui de Crémone, leur répondit-il, avec lequel j’ai longtemps porté les armes, était de mes intimes amis. Peu de jours avant sa mort, il me dit que, lorsque cette ville fut prise par l’empereur Frédéric, et livrée au pillage, il entra avec plusieurs de ses compagnons dans une maison que ceux qui l’occupaient venaient d’abandonner, et qu’il trouva pleine de richesses. Comme il en sortait, il rencontra sur un escalier cette fille, qui, dès qu’elle le vit, l’appela son père. Ce mot, prononcé d’un ton tout à fait tendre, le toucha de compassion pour cette enfant. Elle pouvait alors avoir deux ans : il la prit avec lui, en eut soin dès ce moment, et l’emmena à Fano, où il est mort. C’est là qu’il m’a laissé cette fille avec tout son bien, en me chargeant de la marier quand il en serait temps, et de lui donner tout ce qu’il m’a remis pour elle. Si je ne l’ai pas encore mariée, c’est parce que je n’ai point trouvé de parti qui me parût sortable ; mais je me donnerai des mouvements pour en trouver bientôt, afin de ne plus l’exposer aux folies des jeunes gens. »

Le hasard voulut qu’il y eût dans la compagnie un certain Guillemin qui, s’étant trouvé au saccagement de la ville de Faënza avec Gui de Crémone, savait très-bien que la maison qui avait été pillée appartenait à l’un des assistants. Il s’approche alors du personnage : « Bernardino, lui dit-il, vous avez fait attention à ce que vient de dire Jacomin ? La chose vous regarde en propre. — J’en ai été frappé aussi bien que vous, répondit Bernardino, et je songeais dans ce moment à la petite fille que je perdis alors, et qui serait aujourd’hui de l’âge de celle dont parle Jacomin. — C’est assurément la vôtre, reprit Guillemin, n’en doutez pas ; car il me souvient d’avoir autrefois entendu faire, par Gui de Crémone, la description de la maison qu’il avait pillée ; et, d’après son récit, il m’a toujours semblé que c’était celle que vous aviez. D’après cela, je suis persuadé que c’était votre fille qu’il emporta. Ne pourriez-vous point la connaître à quelque marque ? Voyez-la, et je suis certain que vous la reconnaîtrez ! » Bernardino se ressouvint qu’elle devait avoir une marque en forme de