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répondit Crivel, c’est de vous introduire dans la maison, quand mon maître ira souper dehors ; car tout ce que je dirais à la demoiselle en votre faveur ne servirait de rien. Je n’ai pas le moindre crédit sur son esprit, et je ne voudrais pas me hasarder à lui proposer une chose qui pût la fâcher. Voyez si cela vous accommode : je vous tromperais, si je vous promettais davantage. » Jeannot lui dit qu’il n’exigeait pas autre chose de lui, et ils en restèrent là.

Minguin, de son côté, avait mis la servante dans ses intérêts, et lui avait fait faire plusieurs ambassades, qui avaient presque déterminé la demoiselle en sa faveur. Ce qui est certain, c’est qu’elle l’avait portée à consentir de le recevoir la première fois que son tuteur sortirait la nuit.

Les choses étaient en cet état, lorsque Jacomin fut invité à souper chez un de ses amis. Crivel le fit savoir incontinent à Jeannot, qui, à un certain signal, devait trouver la porte ouverte. De son côté, la servante, qui ne savait rien de l’intrigue de Crivel, fit avertir Minguin de l’absence de son maître, en le priant de se tenir près de la maison, afin d’y entrer au signal qu’elle devait donner.

La nuit étant venue, chaque amoureux, qui craignait la rencontre de son rival, se précautionne d’armes et d’amis, de peur de surprise, et va se poster dans l’endroit qu’il juge le plus convenable. Minguin alla avec ses gens chez un de ses amis, dont la maison était voisine de celle de la demoiselle, pour y attendre le moment du rendez-vous. Jeannot se porta avec sa troupe dans un endroit plus éloigné, après avoir laissé toutefois un de ses gens près du logis de la dame, pour guetter le moment où la porte s’ouvrirait.

Quand Jacomin fut sorti, le valet et la servante firent de leur mieux pour se défaire l’un de l’autre. Crivel voulait que la servante se couchât, et la servante s’efforçait d’éloigner Crivel sous mille prétextes différents. « Que ne vas-tu te promener, lui disait-elle, pour aller ensuite au-devant de notre maître ? — Et toi, répondait le valet, pourquoi ne vas-tu pas te coucher, à présent que tu as soupé ? » Comme ils avaient intérêt l’un et l’autre de ne pas s’éloigner, aucun ne voulut démarrer. Crivel, ennuyé de ces contestations, et voyant que l’heure approchait, courut ouvrir la porte, quoi qu’il dût lui en arriver. Jeannot entre aussitôt, suivi de deux de ses compagnons, et se met en devoir d’emmener la demoiselle, qu’il trouve dans le salon, occupée à coudre ; et la belle de pousser les hauts cris, et la servante d’en faire autant. Minguin accourut au bruit : les ravisseurs étaient déjà dans la rue ; il fond sur eux l’épée à la main, et menace de les tuer, s’ils ne lâchent leur proie. Pendant qu’on se chamaillait ainsi de part et d’autre, les voisins, munis d’armes et de flambeaux, étant accourus en diligence, séparent les combattants, et apprenant la violence de Jeannot, se déclarent en faveur de Minguin, délivrent la nouvelle Hélène, et la remettent dans la maison de son tuteur, qu’elle appelait sans cesse dans son affliction.