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NOUVELLE V

LES DEUX RIVAUX

Deux Lombards, l’un connu sous le nom de Gui de Crémone, l’autre sous celui de Jacomin de Pavie, tous deux déjà vieux et cassés par les fatigues de la guerre, comme gens qui avaient porté les armes dès leur plus tendre jeunesse, se retirèrent dans la ville de Fano, pour y finir leurs jours dans le repos. Quelque temps après y avoir fixé leur séjour, Gui tomba dangereusement malade. Comme il n’avait ni parents ni amis en qui il eût plus de confiance qu’en Jacomin, avec lequel il s’était lié dans le service, il le laissa, en mourant, dépositaire de tout son bien, et d’une petite fille qu’il avait avec lui, âgée d’environ dix ans, des aventures de laquelle il l’instruisit fort au long. Il arriva, sur ces entrefaites, que, les troubles qui avaient longtemps agité la ville de Faënza s’étant apaisés, il fut libre à chacun de ses anciens habitants d’y retourner. Jacomin, qui en était sorti pour éviter les malheurs de la guerre ; sachant qu’elle avait un peu repris sa première force et sa splendeur, alla s’y établir avec toute sa fortune, et emmena avec lui la petite fille qui lui avait été confiée. Il l’aimait comme si elle eût été sa propre enfant. Elle embellissait si fort en grandissant, qu’elle devint en peu de temps une des plus jolies et des plus aimables demoiselles de la ville. Plusieurs jeunes gens s’empressèrent de lui faire la cour. Les plus assidus étaient un certain Jeannot de Severin, et un nommé Minguin de Mingole, tous deux bien faits, de jolie figure et fort polis. Comme ils en étaient l’un et l’autre éperdument amoureux, ils devinrent ennemis irréconciliables, aussitôt qu’ils se reconnurent rivaux. La demoiselle touchait à sa quinzième année, et était par conséquent en âge de se marier. Chacun d’eux se serait estimé heureux de l’avoir pour femme, si on eût voulu la leur accorder ; mais voyant qu’on la leur refusait sur de vains prétextes, ils formèrent l’un et l’autre, chacun de son côté, le projet de l’enlever. Voici les moyens qu’ils mirent en usage.

Le vieux Jacomin avait une vieille servante, et un valet nommé Crivel. Celui-ci aimait beaucoup l’argent et le plaisir, et était par conséquent facile à se laisser corrompre. Jeannot fit connaissance avec ce valet, lui découvrit à propos son amour, le pria de le servir dans son dessein, et lui promit de le bien récompenser, s’il venait à bout de l’exécuter. « Tout ce que je puis faire pour vous obliger,